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Chine, voulut savoir quels étaient les effectifs militaires des différentes armées coalisées, le nombre de généraux de chaque nation, la composition des escadres, le point de la côte où nous passions l’hiver et la température que nous avions ; il s’informa si les Boxers continuaient la résistance et si la Cour chinoise pensait revenir bientôt à Pékin.

On sent que l’empereur est au courant des affaires extérieures des pays étrangers ; il est entouré de conseillers qui le renseignent, et son esprit, naturellement curieux, ne s’immobilise pas dans l’étude des affaires purement coréennes ; il semble aussi animé d’une grande bienveillance pour les Européens.

Enfin, il nous souhaite à chacun bon voyage, un prompt retour dans notre patrie et termine en félicitant l’armée française d’avoir été la moins ardente au pillage et d’avoir fait preuve d’une certaine douceur à l’égard de la population chinoise.

Nous quittons la salle d’audience et, avant le dîner, un verre de vermouth nous est offert dans une chambre voisine. Assistaient au dîner de gala, en dehors des Français venus de Chine, l’inspecteur général des mines coréennes et le directeur de l’école française ; le ministre du Palais présidait, accompagné des ministres des Affaires étrangères et des Postes et Télégraphes et d’un interprète.

La salle à manger, élégante, bien chauffée par un calorifère, renferme les meubles européens qu’on est habitué à y rencontrer ; la table est luxueusement servie comme vaisselle, verrerie, lingerie, fleurs et fruits. Nous ferons un repas royal : la chère est exquise, les vins abondants et généreux.

Depuis quelques années, la maison impériale est sous la direction d’une Alsacienne qui y fait les affaires de l’empereur et les siennes ; autrefois, ce dîner lui aurait été compté cinq cents francs par tête, il ne lui revient plus maintenant qu’à cent francs environ. Le service était fait d’une façon discrète, silencieuse, par des serviteurs coréens en costume du pays.

Détail amusant : l’empereur, caché derrière une tenture, pendant le dîner, resta invisible, mais se rendit compte des différents incidents de la soirée et demanda à plusieurs reprises quelle était l’impression des étrangers venus le saluer.

Je crois inutile de dire que les Coréens, présents au dîner, étaient au courant de toutes les habitudes occidentales et qu’ils ne commirent aucune fautes ni d’étiquettes ni de savoir-vivre.

JEUNES CORÉENNES DE LA CLASSE ARISTOCRATIQUE. — DESSIN DE MIGNON.

Après le dîner, nous assistâmes à la partie récréative de la soirée, dans la salle à manger transformée en salle de concert. Les sons de la musique se font entendre dans le vestibule où une trentaine d’exécutants, assis à terre, jouent de la mandoline, de la guitare et d’autres instruments à corde, ainsi que du tambour et du tambourin. Il faut être né en Corée ou en Chine pour apprécier les orchestres d’Extrême-Orient ; leur musique est réellement assourdissante, dépourvue de toute règle mélodique, alternativement criarde et monotone.

Apparaissent d’abord deux hommes costumés assez richement en lion et tigre qui se mettent à caracoler et à danser aux sons de la musique, s’éloignant, se frottant le museau et poussant des cris inarticulés ; ils finissent par disparaître.

Viennent ensuite une dizaine de danseuses, vêtues de couleurs étincelantes, mordorées, avec le chapeau et la toque enguirlandés de fleurs, chaussées de fines sandales qui montrent leurs petits pieds dans un bas blanc bien tiré ; leurs mains sont menues, les doigts fuselés. Elles sont jeunes, de taille variée, très maquillées, mais graciles, sveltes et de figure plutôt agréable ; des pendeloques leur ornent le cou, le front, et des ornements en filigrane sont disposés sur leurs vêtements. Elles répondent aux noms poétiques de Mlles  « Bouquet », « Rose », « Iris », « Chrysanthème », « Cerise », « Prune » : leurs lèvres sont peintes comme celles de nos actrices ; elles appartiennent au demi-monde coréen et, bien qu’en puissance de mari, ne se piquent pas d’une vertu à toute épreuve.