Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 10.djvu/414

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


LA PORTE SAINT-MICHEL ET LES REMPARTS DE GUÉRANDE.

du xviiie siècle : l’envahissement du lit du fleuve par les sables empêche les bâtiments de fort tonnage de remonter le fleuve, non seulement jusqu’à Nantes, mais jusqu’à Paimbœuf. On remédia à cet état de choses en construisant le port de Saint-Nazaire, mais on en est revenu au problème de la Loire navigable, et l’on peut croire qu’un jour la batellerie remontera jusqu’à Angers d’abord, puis jusqu’à Orléans. Cette question de la Loire navigable est la grande question à Nantes, depuis plus d’un demi-siècle. C’est que le mouvement industriel est vif ici : il porte sur la raffinerie, la construction des navires, le tissage, la fonderie, les couvertures de laine, la flanelle, les toiles peintes, le feutre pour la garniture des bateaux, les cordages, le savon, etc., mais c’est surtout par la confiserie des sardines, la préparation des conserves alimentaires, la fabrication des biscuits, que Nantes a établi sa renommée. Ce qui n’empêche pas quantité d’autres commerces par lesquels s’écoulent les produits bretons : le bois, le bétail, le beurre, le sel, le vin (gros plant et muscadet), les eaux-de-vie, le vinaigre, les machines agricoles, le miel, le sucre, les étoffes, les salaisons… Allez vous promener au long du quai, vous verrez tout cela, et un magnifique paysage d’eau et de bateaux.

Il n’y a pas que ce beau décor moderne à Nantes, il y a un décor historique. Le château d’abord, avec ses massives fortifications, ses tours épaisses. C’est l’ancienne résidence des ducs, et sa première construction, par Alain Barbe-Torte, est de 938. Reconstruit en partie en 1466 par le duc François II, qui le flanqua de quatre tours, il a servi longtemps de prison d’État, puis de magasin à poudre. Il est classé aujourd’hui comme monument historique, et il a fort bon air, avec les trois tours qui lui restent et ses courtines surmontées de sculptures à demi-effacées. J’entrevois dans la cour la belle ordonnance d’une construction de la Renaissance et l’entourage de fer d’un puits, mais je ne vais pas voir les collections d’armes installées par la direction de l’artillerie. Je ne vais pas voir davantage, à l’Hôtel de Ville, le coffret qui « a renfermé » le cœur de la reine Anne. Cette relique, primitivement inhumée dans le tombeau de François II et de Marguerite de Foix, à Saint-Pierre, était, en 1824, au dire d’Émile Souvestre, « entre les mains du concierge de l’Hôtel de Ville, qui la conservait dans une vieille commode, avec les bijoux de chrysocale de sa femme ». Le Grand-Théâtre, architecte Mathurin Crucy, est resté beau, s’il n’est plus le monument achevé en 1788, détruit, huit ans après, en 1796, rétabli en 1811, restauré en 1844 et en 1865. Il est sur la place Graslin, l’un des endroits de France où l’on goûte le mieux le charme et la force tranquille de la vie d’une grande ville de province. C’est à la fois, si l’on peut dire, animé et calme, lorsque le soleil découpe l’ombre des maisons sur le pavé, que les conversations d’affaires se poursuivent à la terrasse des cafés, et que quelque paysanne apparaît à l’issue d’une rue montante. Du même Mathurin Crucy, la Bourse, de style