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grec comme la Bourse de Paris. Celle de Nantes, bâtie de 1792 à 1812, est donc à la mode du temps, pasticheur de l’antiquité. La Halle, construite en fer, bien aérée, correspond mieux à sa destination. Par la rue Crébillon et la rue Lafayette, dite aussi rue des Banques, toute écussonnée d’enseignes d’agents de change et de banquiers, on arrive au Palais de Justice, qui dresse son style Louis-Philippe et ses statues allégoriques parmi des verdures.

La Cathédrale, ou église Saint-Pierre, aurait pu être d’une architecture plus recommandable si elle n’avait pas subi tant de remaniements depuis le iiie siècle, date de sa fondation, en 570, en 1434, en 1484, en 1612 ; enfin tout récemment, on a démoli, on a ajouté, consolidé, refait l’intérieur comme la façade. Elle renferme heureusement une œuvre de haut intérêt, le tombeau de François II, duc de Bretagne, et de Marguerite de Foix, son épouse. La donatrice est Anne de Bretagne, le sculpteur est Michel Colomb. C’est un bel arrangement d’art de la Renaissance, d’une parenté italienne pour l’ensemble, mais avec le sentiment de notre Moyen Âge qui a persisté dans la sculpture de portraits de l’école française. Le duc et la duchesse, tombés au calme de la mort, ont des physionomies très particularisées, marquées d’observation précise. De même, les femmes qui flanquent les quatre coins du sarcophage de marbre blanc sont des femmes vivantes, de la plus tranquille réalité, malgré qu’elles symbolisent des vertus cardinales : la Force, la Sagesse, la Prudence, la Justice. Le monument est creusé de niches en marbre rouge où sont blottis les douze apôtres, Charlemagne, saint Louis et saint François. Le tout est entouré, soutenu, par seize figures de moines, aux manteaux noirs, abîmés dans la prière, accablés d’humilité. Par l’étendue de la composition, la variété de l’expression, c’est une des œuvres principales de la sculpture française. La sculpture du xixe siècle, que l’on peut voir ensuite dans cette même église de Nantes, n’a pas la même densité de formes, la même expression ferme et nette, mais c’est, toutefois, une des œuvres où le statuaire Paul Dubois a le mieux marqué son savoir et son goût : le mausolée du général Lamoricière, étendu, lui aussi, en gisant, et entouré par quatre figures représentant la Foi, la Charité, l’Histoire et le Courage militaire.

Il y a nombre d’églises à Nantes : Saint-Jacques, près de l’hôpital, avec de beaux restes du xiiie siècle ; Sainte-Croix, quelconque, du xviie siècle ; Saint-Nicolas, moderne, adroit pastiche de Lassus… L’énumération pourrait continuer : Notre-Dame-du-Bon-Port ; Saint-Similien ; Saint-Clément ; Sainte-Anne ; Saint-Clair ; et des chapelles… Mais il est d’autres œuvres d’art à Nantes. Au Musée, installé en 1900 dans un palais neuf, parmi de nombreuses sculptures et peintures récentes, souvenirs de nos Salons annuels, des œuvres de haut intérêt font, du musée de Nantes, un des plus beaux de nos provinces : deux saints, de Filippino Lippi ; des portraits de Bronzino, Moroni (ou Véronèse) ; un Convoi d’évêque, d’Andrea Sacchi ; des scènes de Venise, de Guardi, Canaletti ; un extraordinaire Joueur de vielle, de l’École espagnole, que l’on a pu attribuer à Vélasquez pour la sûreté et la finesse de la touche, pour l’enveloppe blonde et transparente de la figure. L’École française est abondamment représentée : Mignard, Lenain, Rigaud, Lesueur, Lancret (une Camargo dansant), Pater, Carle et Louis Michel Vanloo, et enfin de Watteau un tableau authentique et deux autres, attribués à Lancret, qui doivent être restitués à Watteau, et Greuze, et Nattier. Parmi les peintures du xixe siècle, un grand chef-d’œuvre, la Madame de Senones, d’Ingres, une des figures les plus souples, les plus vivantes, d’un style admirable qui s’adapte étroitement à la réalité ; avec Ingres, il y a Gros, Delaroche, Flandrin, Brascassat, Delacroix, Léopold Robert, Horace Vernet, Courbet, Daubigny, Rousseau, Baudry, Delaunay, Raffaëlli…

COIFFE DE GUÉRANDE.

Ce beau Musée de Nantes se complète par le Musée Dobrée, legs de M. Thomas Dobrée, collection archéologique bretonne, meubles, costumes, objets, logés dans l’hôtel du défunt, le Musée d’histoire naturelle ; le Musée industriel, commercial et maritime ; les Archives départementales ; la Bibliothèque municipale, riche en ouvrages sur la région, en estampes, en manuscrits, en impressions rares. Nantes est donc une ville où le travail de l’esprit est possible. Faut-il énumérer les écoles, les institutions d’enseignement ? Le Lycée, l’École préparatoire des sciences et des arts, l’École secondaire de médecine, l’École d’hydrographie, l’École de dessin, le Conservatoire de musique et de déclamation, l’École professionnelle communale, l’École des sourds-muets, la Société archéologique de la Loire-Inférieure, la Société académique, la Société des Beaux-Arts, et plusieurs autres cercles composés d’amateurs érudits.

La rue offre d’autres intérêts : de grands mouvements de population, tout d’abord. Il y a un passage de foule, le matin, à l’heure où chacun va aux affaires ; puis, le travail du port, le déchargement et l’arrivage