Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 10.djvu/439

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ment, comme la configuration du sol. Il faut des siècles pour qu’une côte change d’aspect, que des rochers s’usent, pour que les envasements et les ensablements se transforment en terres productives. Une montagne s’écroule parce qu’une pierre a mis cinq cents ans à s’effriter et à se déplacer. Les cataclysmes sont amenés par l’usure journalière, par un travail continué de toutes les minutes.

Mais il faut dire le spectacle du pèlerinage. La veille, c’est l’envahissement de tout le terrain autour de l’église, de la Scala sancta, de la fontaine, par les marchands de médailles bénites, de scapulaires, d’images, de statuettes, de crucifix, d’objets de piété de toutes sortes. Le jour de la fête, c’est la procession et c’est le rassemblement sur le champ de l’Épine, autour de la Scala sancta. J’ai vu deux fois ce déploiement du pèlerinage, et la première fois, en 1890, la cérémonie avait un caractère spécial. L’évêque de Beauvais apportait au sanctuaire une portion du crâne de sainte Anne. Comment la relique était-elle en sa possession ? Voici l’histoire, que je vous donne pour ce qu’elle vaut. Les restes de sainte Anne vinrent de Palestine en Turquie et furent distribués aux Croisés, et aussi aux Hongrois et aux Bulgares, ennemis de l’Islam. Plus tard, en 1396, le sultan Bajazet vainquit Sigismond, roi de Hongrie, défendu par un certain nombre de seigneurs français. Parmi ceux-ci, Jean de Roye, grand chambellan de France, qui fut tué, et dont le cadavre fut réclamé par son fils, Mathieu de Roye. Sigismond remit à Mathieu un morceau du crâne de sainte Anne, qui fut conservé dans la famille de Roye jusqu’en 1489, puis à l’abbaye d’Ourscamp. Cachée pendant la Révolution, la relique fut placée, en 1807, à l’église de Chilly, entre Noyon et Compiègne. L’évêque de Beauvais l’obtint du curé de Chilly et la remit à l’évêque de Vannes. Il y eut donc une procession, de l’église d’Auray à la basilique de Sainte-Anne, une procession semblable à celle qui se fit en 1639, lorsqu’une première relique, offerte par Louis XIII, fut portée par le duc de Montbazon à la chapelle de Kerenna. Ce sont des bannières, des oriflammes, des étendards brodés d’hermine, de Vierges, des noms des paroisses représentées. Ce sont des prêtres, des moines, des enfants de chœur, des jeunes filles vêtues de blanc portant des fleurs, des hommes qui escortent la grande bannière, des petites filles qui entourent la bannière de la Vierge. On passe en revue les groupements des environs et de contrées lointaines de la Bretagne. On dit que nombre de pèlerins sont venus à pied à travers la lande, raccourcissant la distance par leurs chants, accomplissant des vœux par cette marche forcée, espérant la guérison de quelque impotent laissé au logis. Les Arzonnais, à la ceinture rouge, escortent leur croix d’argent et portent un modèle de vaisseau : ils sont les descendants des marins vainqueurs de Ruyter, ils chantent les souvenirs des batailles navales,

LA PROCESSION DES VACHES AU PARDON DE SAINT-NICODÈNE.