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ce jardin clos, ces arceaux sous lesquels la promenade est à l’abri du soleil et de la pluie, ces chambres qui entourent le jardin, tout l’ensemble de cette maison qui peut avoir ses ouvertures sur le dehors comme sur le dedans. C’est donc là ma meilleure impression d’Auray, parmi les allées, les plates-bandes bordées de buis, les fleurs semées à profusion, toutes ces grâces de la nature qui ornent si bien les anciens vestiges de monuments périmés.

LE MENHIR BRISÉ À LOCMARIAQUER.

Il me faut gagner Pluvigner, puis la forêt de Camors, aux arbres magnifiques, chênes, hêtres, châtaigniers, qui rassurent par leur aspect de forte vieillesse après la traversée des landes. Baud est à l’abri dans ce pays de collines et d’ombrages, et l’on rencontre par les rues du bourg des femmes au fin visage, portant la large coiffe avec col pointu, à trois pointes dentelées. Mais c’est une femme de pierre que je suis venu voir ici, la Vénus de Quinipily. Elle loge dans la cour de ferme de l’ancien château de Quinipily, dont il ne reste guère que les murs avec une partie du bâtiment, de seigneurial devenu paysan. Elle est debout sur une sorte de piédestal, au-dessus d’une fontaine, et elle apparaît tout de suite d’une autre tournure et d’un autre art que les figurines sans proportions des calvaires, avec l’allongement de sa stature, l’exactitude de rapports des jambes et du torse, sa grâce allongée. Elle semble de l’époque grecque où les sculptures grecques ressemblaient aux sculptures égyptiennes. Naturellement, elle passe pour barbare et informe, mais elle est, tout usée, toute rongée par le temps, une apparition de beauté, un fantôme de pierre, dont la rencontre est étonnante parmi ces ruines d’un manoir breton. Elle n’a pas toujours été là, elle était autrefois dans un hameau voisin où elle passait pour sorcière, et elle avait en effet ensorcelé les paysans de la contrée qui la priaient comme une sainte, malgré sa nudité.

LA TABLE DES MARCHANDS À LOCMARIAQUER.

En montant plus haut dans le pays, jusqu’à Saint-Nicolas-des-Eaux, je me retrouve près de Pontivy, en pleine Bretagne du centre, mais c’est le commencement d’août, époque du pardon de saint Nicodème, et je vais voir la procession des vaches. Le paysage de pierres et d’arbres, ordonné comme un décor, avec ses praticables, est l’un des plus beaux en ce genre et l’un des plus bretons par la couleur et le caractère. La chapelle est un joli monument de la Renaissance, au clocher élancé. La fontaine offre l’un des exemples où le gothique flamboyant mêle à ravir ses ornements fleuris aux lignes de la Renaissance : l’art de la Renaissance fut, d’ailleurs, une continuation sans secousses de l’art gothique, avec le souci de l’équilibre, de la grâce concentrée et fine. Ici, les niches abritent de vieilles statues qui renseignent tout de suite sur les vertus de la fontaine. On a devant soi les saints protecteurs des animaux, préservateurs des épidémies : saint Nicodème avec un bœuf, saint Gamaliel avec un porc, saint Abibon avec un cheval. Mais il est bien d’autres animaux sculptés dans la pierre : des caméléons, des animaux fantastiques utilisés comme gargouilles. Et voici les animaux vivants, les vaches, les porcs, les chevaux menés lentement autour de la chapelle par des bonnes femmes en coiffes, des paysans coiffés de chapeaux à rubans de velours noir. L’anxiété se traduit par une aubade au seuil de la chapelle, où des paysans jouent du tambour et de la flûte. La reconnaissance anticipée se lit sur le visage de la paysanne qui emporte son cochon et lui sourit. Je m’en reviens au long du Blavet, sur lequel je vois se lever la lune éclairant les collines rocheuses et la rivière.

Il est, non loin de Saint-Nicolas-des-Eaux, un monument qui vaut d’être contemplé : c’est le calvaire de Melrand.