Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 10.djvu/444

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sa base est un autel très simple, auquel on accède par deux marches. Au milieu de la tablette s’élève une pyramide singulière portant le crucifié, et de chaque côté, aux deux extrémités de la tablette, deux statues, la Vierge et l’apôtre Jean (probablement), deux représentations du type breton en costume du xvie siècle, bien que ces deux statues ne soient peut-être pas de la même époque que le reste du calvaire, — Jean, une sorte de diacre, ou de moinillon, en robe et long manteau, les cheveux divisés sur une drôle de petite tête ronde, ingénue et souffreteuse, un bras pendant avec une main ouverte, l’autre main étalée sur la poitrine, — la Vierge, non moins expressive, vêtue à peu près du même costume, sauf un voile sur la tête, mais sa physionomie, sœur de celle de Jean et tout aussi humble, est néanmoins d’une qualité plus fine, plus subtile, plus rusée, si l’on veut. La pyramide a pour base un bloc où est sculpté le Portement de la croix, un petit Christ à grosse tête et à grande barbe, traîné et poussé par des hommes d’armes. Au-dessus, l’Ensevelissement, le même Christ disproportionné, mort, raidi, étendu sur le flanc, entouré des saintes femmes qui ont toute l’apparence de petites filles en bonnets. C’est gauche et enfantin, et ce sont là un peu les scènes d’un Guignol gothique. Aussi le résultat est-il bizarre, comme dans nombre d’œuvres du même temps : l’intention est funèbre et dramatique, tandis que l’exécution est caricaturale et comique. Il y a tout de même dans ces figurines un désir d’observation et de vérité fort touchant, et même il y a un sérieux et une science dans les têtes échelonnées au long de la colonne, et qui font songer, par une bizarre rencontre, aux sculptures de l’archaïsme avancé de la Grèce, à certaines figures de soldats du temple d’Égine. Ces têtes sont au nombre de dix : avec deux autres figures, placées de chaque côté de l’Ensevelissement, cela ferait douze, et il s’agirait peut-être alors d’une représentation des douze apôtres. Au-dessus de ces têtes, c’est la croix, un assemblage rectangulaire de bois auquel est accroché un Christ nain, et que domine un Dieu le Père, barbu, jeune, placide, tenant en chaque main une tête d’ange, et portant sur le ventre le Saint-Esprit sous forme de colombe.

FEMME DE BAUD AVEC LA LARGE COIFFE ET LE COL À TROIS POINTES.

De retour à Auray, il me reste à voir, dans la région, la presqu’île de Quiberon. Je vais à Locmariaquer, puis j’irai à Carnac et à Quiberon.

LA VÉNUS DE QUINIPILY.

Locmariaquer, à l’embouchure de la rivière d’Auray, à l’entrée de la mer du Morbihan, a remplacé, croit-on, l’ancienne ville romaine de Dariorigum. On est, tout au moins, sur un terrain qui servit de base d’opérations ou de lieu de concentration aux légions de César, lorsqu’elles vinrent attaquer les Vénètes. Comme preuves, on indique la vieille jetée de pierre (romaine ou celte), les débris sur lesquels est bâtie la chapelle Saint-Michel. Locmariaquer est célèbre par des monuments plus authentiques, les monuments mégalithiques dont on ne trouve nulle part, sauf à Gavr’inis, de plus beaux échantillons. Il y en a davantage à Carnac, où l’ensemble est saisissant, mais ceux d’ici sont parmi les plus grands, les plus caractéristiques. C’est le Mané-Lud, ou montagne de la Cendre, dolmen enfoncé dans la terre, et sous lequel on pénètre par une porte. C’est le Dol-er-Groh, ou Table brisée. C’est le Men-er-H’roeck, ou Pierre de la Fée, menhir de 23 mètres, brisé en quatre morceaux par la foudre. Il avait été question de l’apporter à Paris et de le faire figurer à l’Exposition de 1900. On n’a pas mis ce beau projet inutile à exécution. Mieux vaudrait remettre debout cette énorme pierre, dont le raccommodage ne doit pas être une entreprise impossible pour les hommes d’aujourd’hui, malgré les 200 000 kilogrammes de poids de cette pierre monstrueuse. C’est le Dol-ar-Marc’hadourien,