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tence est assez mouvementée par l’importance maritime de la ville. Les cafés sont très occupés, et il y a foule, place d’Alsace-Lorraine, à l’heure de la musique. Il est, toutefois, inutile de chercher quelque monument intéressant. Les monuments, ici, sont dans le port : ce sont les cuirassés et les transports, telle vieille frégate transformée en caserne flottante. En ville, il y a trois statues : place Bisson, une statue en bronze par Gatteaux évoque le souvenir de l’officier breton qui, le 6 novembre 1827, mit le feu aux poudres du brick qu’il commandait, plutôt que de se rendre aux pirates turcs ; cours de la Bove, la statue de marbre, par A. Mercié, du compositeur Victor Massé ; square Brizeux, la statue de marbre du poète de Marie, œuvre de P. Ogé. Brizeux est enterré au cimetière de Lorient, et sa tombe de granit est ombragée par un chêne magnifique. Il l’avait désirée ainsi. Le poète qui a célébré la Bretagne, « terre de granit recouverte de chênes, » est l’un de ceux qui ont le mieux exprimé certains aspects des paysages et de l’existence du pays. Ce fut un doux poète, disant sa vie tranquille et ses amours mélancoliques. Il connut Paris, fit des visites, songea à l’Académie, voyagea en Italie avec Auguste Barbier, fut célèbre par son poème de Marie. Né à Lorient, en 1803, il fit ses études au collège de Vannes, fut clerc d’avoué à Vannes, sur la recommandation de son oncle, curé d’Arzanno, vint à Paris en 1826. Il y fit une pièce pour le Théâtre-Français, traduisit le Dante, puis revint en Bretagne, publia les Bretons, les Histoires poétiques, etc. Son œuvre reste Marie, le poème de la pure enfant en laquelle Brizeux aime la Bretagne. Son livre a la couleur des eaux, l’illumination des genêts, la tristesse de la lande. C’est une Bretagne adoucie, mais vraie tout de même. Renan, dans le discours qu’il prononça en 1883 à l’inauguration du monument de Brizeux, a très bien dit que si Brizeux n’avait pas découvert la Bretagne, il avait découvert « l’amour breton, amour discret, tendre, profond, fidèle, avec sa légère teinte de mysticité. » Jules Simon, qui parla après Renan, célébra les Bretons comme Marie : « Marie, dit-il, est l’idylle du printemps, belle comme une fleur sauvage ; les Bretons sont le fruit d’un art plus exercé et plus maître de lui, peut-être un peu attristé par les déceptions de la vie et le pressentiment d’une mort prématurée. » Brizeux mourut, en effet, à cinquante ans, loin de la Bretagne.

LORIENT : LA TOMBE DE BRIZEUX.
LA TRISTESSE DE LA LANDE CHANTÉE PAR BRIZEUX.

Jules Simon aussi est né à Lorient, mais il n’y a pas encore sa statue. Ce fut un écrivain châtié et fin, un orateur, ou plutôt un causeur très personnel, et dont l’influence de parole fut grande sur les assemblées politiques. Son livre sur l’ouvrière est sérieux, son livre de souvenirs de jeunesse est charmant, et fait très bien revivre la Bretagne de son temps. L’homme d’action fut adroit, de caractère un peu fléchissant.

Le port militaire, bordé de beaux quais, s’étend depuis la jetée du Commerce, à l’angle nord de laquelle sont bâties les casernes, jusqu’au pont du chemin de fer, près des abattoirs. Les bâtiments en bordure sont en grande partie occupés, du côté de la ville, par l’arsenal, et de l’autre côté par les chantiers de constructions navales et le terrain de manœuvres. Les deux conditions principales requises pour l’établissement d’un arsenal maritime sont un bon port et une rade sûre. Aucun établissement de ce genre, celui de Brest excepté, ne remplit mieux ces conditions que Lorient, protégé par des défenses naturelles, par un chenal infranchissable. Tous les services sont groupés