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LES RUINES FAROUCHES DE RUSTEPHAN, PRÈS DE PONT-AVEN.

par la résistance de la France, ils ont trouvé en nous une vitalité, une force, sur lesquelles se sont brisées leurs tentatives, et il leur a bien fallu chercher leur horizon ailleurs. Ailleurs, c’était la mer. Ils l’ont conquise lame par lame, ils l’ont explorée tout entière, ils ont abordé toutes les terres de toutes les latitudes, planté leur drapeau partout où il y avait un rocher, un banc de sable inoccupés. Les habitants de l’île européenne en sont arrivés à posséder un empire immense, lequel comprend des colonies soigneusement choisies, qui figurent au budget par des bénéfices et non par des pertes. C’est alors, après cette course dominatrice à travers le monde, après cette installation partout, que le sens du réel apparaît, que l’esprit pratique fait son œuvre. L’Anglais, on l’a dit et redit, sait voyager, et le dicton qui veut que l’on s’instruise en voyageant s’est trouvé ratifié par lui de la façon la plus nette. Il a reconnu, entre autres choses, que la terre était toute petite, une planète fort restreinte qu’il est facile de parcourir sans cesse, et que le peuple anglais suffirait fort bien à l’occuper tout entière. Mais l’entreprise offre quelques difficultés, et à défaut d’occupation absolue, il a fallu se contenter d’occupations et d’exploitations partielles. Le sentiment de cette souveraineté universelle possible n’en est pas moins présent et actif, et il se manifeste toujours et partout, dans les petites villes des côtes bretonnes choisies comme de bonnes installations pour leur température heureuse, comme sur les grands chemins de la mer, — qui ne semble exister que pour entourer d’eau les Îles-Britanniques.

Au Pouldu, je m’attarde parmi les sables couleur d’orange, les chemins creux aux talus couverts de fraisiers et de violettes, et c’est de là que je m’en vais, en bateau, jusqu’à Douëlan, jusqu’à Pont-Aven. Douëlan est un port où s’abritent quelques barques. Pont-Aven, « ville de renom, quatorze moulins, quinze maisons », dit le proverbe, et il y a, en effet, des moulins à Pont-Aven, mais il y a surtout des rochers, et davantage encore de peintres. Des peintres de toutes les nations, et surtout des peintres américains. On dit que c’est un Américain qui a découvert Pont-Aven, en 1872. Quel hôtel ! et quelle table d’hôte ! Il est vrai que le pays abonde en paysages désignés par ces messieurs comme des « motifs ». La rivière est délicieuse de chutes et de tournants subits, de verdures, de petites grèves où l’on peut installer un chevalet. Le bois d’Amour est un paradis de clartés dorées et d’ombres vertes, au-dessus de l’eau sombre. La population de l’été se répand à travers ces merveilles et se réunit, le soir, sous les globes électriques de la salle à manger, tout le monde en tenue de soirée.

Les filles de Pont-Aven ne le cèdent pas à leurs hôtes pour le luxe des atours. Elles ont une répu-