Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 10.djvu/469

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tation de coquetterie justifiée, elles aiment les belles étoffes, et cela se voit à leurs costumes, auxquels elles consacrent des sommes énormes : on cite des robes de mariées qui coûtent de 700 à 800 francs. Leurs vêtements traditionnels sont ornés de velours, de broderies, de garnitures d’or et d’argent, d’accessoires brillants et fantaisistes. On a conservé à Pont-Aven la tradition du « coucher de la mariée ». Les parents et les amis aident la jeune épouse à se mettre au lit, et lorsque son époux l’a rejointe, on commence dans la chambre, autour du lit, une ronde qui se continue longtemps au dehors par des danses et des chansons.

Auprès de Pont-Aven, la chapelle Trémalo, un mur à peine hors de terre, un immense toit, un petit clocheton, l’apparence d’une grange ; le château du Hénan ; des dolmens ; les ruines farouches de Rustephan, une tour écroulée, une plate-forme herbue : dans la muraille, des fenêtres ouvertes des deux côtés sur le vide, des murs interrompus, une porte aux jolis ornements : la fondation est du xiie siècle, les ornements sont du xve siècle. Je gagne Bannalec, pays des coiffes noires, Rosporden, où j’arrive un après-midi et qui me paraît funèbre, avec sa grande place déserte, ses maisons noires. Je m’en vais jusqu’à Concarneau, et je me crois tout d’abord retombé à Pont-Aven.

L’arrivée, en été, à la tombée du jour, à Concarneau, dans l’un des hôtels qui prennent vue sur le port, ne fait que fournir un renseignement de plus sur la mise en scène des villégiatures installées dans les villes de pêcheurs. La patronne de l’hôtel a gardé, sinon le costume du pays, du moins sa coiffe caractéristique, mais c’est du trompe-l’œil comme les meubles bretons fabriqués à Paris, expédiés dans les petites villes armoricaines, chez les marchands d’antiquités. Du moins, ici, la salle à manger est franchement anglaise et moderne, boiseries vernies et éclairage à la lumière électrique. Là-dedans, une réunion de toilettes féminines, blanches et roses, ce qui est assez coquet et plaisant, mais des hommes en grande tenue, à cols raides, qui semblent jouer un rôle dans une comédie où l’on mènerait la vie de château, et non dîner dans une auberge, proche des bateaux à sardines.

C’est excessif, et l’on ne voit pas pourquoi l’habit noir, rouge, ou de la couleur que l’on voudra, n’est pas de rigueur à cette table d’hôte : c’est trop ou trop peu, trop snob ou trop négligé. Franchement, l’élégance des femmes devrait suffire, puisque cela les amuse et distrait aussi nos yeux. Mais les malheureux qui passent leur vie à Paris, dans des souliers vernis, du linge empesé, la tête encerclée par un chapeau dur, devraient avoir le droit, ici, de se libérer quelque peu du code pénal de la mode. Ce Concarneau est à fuir, s’il faut y subir la loi qui sévit sur les plages normandes. J’entends des conversations admiratives et terrifiantes sur la grandiose installation anglo-américaine, à Pont-Aven, de la caserne de peintres où il y a cent personnes, tous les soirs, à dîner, les femmes arborant, avec le décolletage, la quatrième toilette de la journée. Je me garde de donner mes renseignements et mes impressions. Je conclus seulement, pour moi seul, que les petites fêtes de ce genre, tous les jours, pendant les trois mois d’été, seraient d’une gaieté un peu forcée. Le comique est une bonne chose, mais il ne faut pas en abuser, et les passants en vacances, qui savent se réjouir, pendant une soirée, de ces galas compassés, ont bientôt fait, au matin, de reprendre leurs souliers de marche et leur bâton de route.

PÊCHEURS SÉCHANT LEURS FILETS, À CONCARNEAU.

Concarneau, d’ailleurs, est de vif intérêt, si l’on quitte cette vie superficielle d’un instant pour la vie locale. La vieille ville, sur l’eau, est entourée de remparts qui font une rude ceinture grise aux maisons dominées par le clocher. Ici, comme de l’autre côté de l’eau, c’est la vie des pêcheurs qui tient toute la place. De rudes hommes, forts et violents, qui se disputent parfois la passe, à coups d’aviron, au retour des barques, pour vendre leur poisson les premiers. Le calme succède à ces batailles lorsque toutes les barques sont rangées dans le port et que les filets sèchent. Il est vrai que les débits alors sont animés.

Je suis arrivé ici en une période de fêtes, et je me mêle aux attroupements autour des montreurs d’animaux, des chanteurs de complaintes, installés contre les halles. Je vois les femmes en bonnet, les hommes aux visages à moustaches rapportées du régiment. Je vois aussi des femmes vêtues de longues mantes noires à la porte d’une maison mortuaire : l’une est banale, l’autre est tragique avec son visage pâle, sa bouche serrée, ses yeux fixes.

Les deux villes communiquent par un pont. La ville neuve n’est qu’un faubourg, mais le faubourg se développe et l’emporte sur la ville-mère. Celle-ci a son histoire, que racontent ses solides murailles : occu-