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mante, élancée et légère, en ses rousses dentelles de pierre. Vue de la place, elle prend plus de corps, c’est vraiment un édifice équilibré. Certaines parties sont de la première moitié du xiiie siècle. Les fléches, modernes, élevées en 1854, sont admirablement raccordées aux tours du xive siècle. L’ensemble constitue un des plus beaux édifices gothiques de la Bretagne. La façade est blasonnée du lion de Montfort, d’armes épiscopales et seigneuriales. Les portiques abondent en sculptures. Sous le porche principal, une statue du Christ se dresse, non pas le Christ hâve du Moyen Âge, mais un Christ de physionomie sereine, de belle prestance, qui tient en sa main la boule du monde. Justement, sous le même porche, on peut voir quelques fragments de la vie qui se manifeste sur notre boule terrestre : une marchande de coiffes, une naine qui mange sa soupe, une mendiante qui tend sa sébile, une béquillarde qui arpente à grand’peine les dalles. Au-dessus du portail, une statue équestre moderne du roi Grallon, à qui saint Corentin devait bien cette politesse.

QUIMPER : LA CATHÉDRALE DE SAINT-CORENTIN.

L’intérieur de la cathédrale est vaste et beau, donne à admirer sa nef, son chœur dévié, ses belles verrières du xve siècle, encadrées de gothique flamboyant, qui éclairent le chœur à arcades, les colonnes à chapiteaux chargés de vignes, la statue en albâtre de saint Jean, avec un agneau sur un livre, qui provient de l’église de saint Guénolé en Penmarch. Le pourtour du chœur est décoré de fresques de Yan Dargent. Sur les pierres tombales, dans les bas-côtés et autour du chœur, des évêques de pierre dorment leur dernier sommeil, rigidement étendus. D’autres, en grands costumes sacerdotaux, sont orgueilleusement agenouillés. Les uns, les gisants, sont du xive et du xve siècles. Les autres sont de l’art plus théâtral du xviiie et du xixe siècles. On conserve aussi à Saint-Corentin une relique unique, dite les Trois Gouttes de Sang. Un pèlerin de Palestine, ayant confié sa fortune à un voisin pendant son voyage, le voisin nia le dépôt, fit un faux serment devant le Christ dont l’image parut s’animer ; trois gouttes de sang tombèrent de l’un de ses pieds percés, furent recueillies sur un morceau d’étoffe.

Hors de la cathédrale, c’est la promenade par les anciennes rues qui dévalent vers le quai, le long des vieilles maisons où ricanent des vieilles sculptures, pendant que sur le seuil se tient quelque femme, expressive d’autre manière, perdue en une contemplation soucieuse. Mais que quelque voisine, quelque passante survienne, cette contemplative va se retrouver bavarde. Toute cette population des rues de Quimper, personnel du petit commerce, ménagères allant au marché du mercredi, aux foires du troisième samedi de chaque mois, ouvrières de Locmaria, est une population en dehors, très agile et très gaie. J’ai habité pendant quelques jours dans l’une de ces petites rues comprises dans le trapèze formé par le Steir et l’Odet, la place Terre-au-Duc et la place Saint-Corentin, et là, par les belles fins de journées, quand tout le monde se repose et se récrée, après le travail accepté et accompli, j’avais la même sensation déjà éprouvée à Morlaix et à Quimperlé, c’était le même concert de rires et de jacasseries, la même belle humeur toujours en éveil. Les gains sont minimes, pourtant, mais la vie est humble, réduite au nécessaire, et l’heureux caractère fait oublier les soucis. Il suffit de voir le visage et les allures des femmes pour deviner le plaisant esprit, vif et résigné à la fois : filles et femmes, petites, un peu épaisses, pour la plupart, sont robustes et accortes, les traits mutins, l’œil bien ouvert.

Du haut du mont Frugy, sous les beaux hêtres plantés en allées de promenade, la vue embrasse le panorama de la ville, des quais, des rivières, des environs. Quimper est au centre d’un pays de verdure. De ses toits serrés montent les fumées bleuâtres : le grand vaisseau de la cathédrale semble voguer sur ces toits comme sur des vagues. Plus près, le faubourg de Locmaria.

Là, c’est la région de la faïence bretonne. Nombre de pièces sont d’imitation ; et il n’est pas rare d’y rencontrer les dessins, les ornementations de Rouen. Mais il y a aussi une originalité, et je la trouve dans