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voit des femmes et des enfants sur le pas des portes, des hommes qui reviennent des champs ; on peut entrer dans quelque boutique, échanger le bonjour et quelques mots de conversation avec des êtres qui représentent, quels qu’ils soient, le labeur utile et la solidarité réconfortante. On peut aussi apercevoir un travail de pierre façonné par des mains intelligentes d’artiste, tel que la chapelle de Comfort, construction bien proportionnée par un bâtisseur de la Renaissance, vieux porche, vieux vitraux, le tout surmonté d’un petit clocher découpé et ajouré comme une fleur. Auprès, un calvaire. On peut encore découvrir, comme dans cette même chapelle, un objet de haute curiosité, tel que la Roue de Fortune, ou Roue à prières : cette roue, garnie de clochettes, accrochée à la voûte de la chapelle, est mise en mouvement par le sacristain lorsqu’un fidèle a déposé son offrande dans un tronc spécial. C’est un peu semblable, moins l’automatisme, à ces boîtes placées maintenant dans les gares, qui vous donnent, moyennant l’insertion d’une pièce de dix centimes, des bonbons, une tablette de chocolat ou une carte postale. Ici, c’est un carillon que l’on obtient, et qui appelle, de ses sons cristallins, les bénédictions du ciel sur le donataire. Cette roue est, dit-on, une des dernières de ce genre qui existent en France, sinon la dernière. Vous voyez qu’il est bon de passer par Comfort pour aller à la Pointe du Raz.

LA BÉNÉDICTION DE LA MER À TRÉBOUL.
JOUEUR DE BINIOU, SCULPTURE POPULAIRE EN BOIS.

Il est bon aussi de passer par Pont-Croix, sur la rivière d’Audierne, ou de Goayen, pour y voir la vieille église de Notre-Dame-de-Rosendon, ancienne collégiale, de styles mélangés : les parties romanes et ogivales sont soudées les unes aux autres, et l’on aperçoit bien, ici, comment les formes se sont enchevêtrées et continuées. La tour, surmontée d’un clocher, qui atteint 66 mètres, est massive dans sa partie basse, puis s’allège par des balustres et des galeries à feuillages.

Pour aller à Audierne, il n’y a plus qu’à suivre la route qui longe la rivière. Brusquement, après un coude et une montée, on aperçoit le bourg de pêcheurs, ses maisons rangées au long du quai, ses barques nombreuses. Lors de mon premier voyage, j’ai habité un petit hôtel sur le quai, tenu par les époux Batifoulier. Les Batifoulier n’étaient pas des Bretons, mais des Auvergnats : il y a beaucoup d’Auvergnats en Bretagne, sans doute par affinité de race celtique. L’Auvergnat est plus commerçant que le Breton, et plus sobre, et il réussit mieux à mener à bien ses « affaires ». Mais Batifoulier était célèbre par autre chose, il était célèbre par lui-même, et c’était, en effet, je crois bien, un type unique. De haute taille, ce n’était pourtant pas sa stature qui frappait les regards, et il semblait, au premier abord, de hauteur ordinaire. Mais il était d’une largeur peu commune, j’oserais dire qu’il était aussi large que haut, une tour mouvante, et qui se mouvait lentement, un éléphant ou un hippopotame que l’on aurait vêtu d’un pantalon, d’un veston et d’un petit chapeau. Toutes les comparaisons saugrenues avec les lourds édifices et les énormes animaux venaient à l’esprit devant cet homme au tronc puissant, aux membres énormes. Mais le visage ! Je n’en ai jamais vu d’aussi vaste : deux joues immenses, une cascade de mentons, le tout assez régulier, avec des moustaches et une barbiche dite royale