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Aux premières crevasses, nous faisons halte. La traversée de cette nappe de glace sera très dure ; dans ces conditions, il importe d’alléger les traîneaux. Nous laisserons donc ici un dépôt composé de cinq jours de vivres pour les hommes et pour les chiens, et quelques ustensiles qui ne sont plus indispensables. Les provisions sont enfouies sous un cairn très élevé, construit avec une excellente neige, dure comme du marbre.

Pendant le travail, de temps à autre, des embellies laissent reconnaître le terrain. Il y a là quatre groupes montagneux isolés, semble-t-il. Le plus septentrional, le mont Helmer Hansen, se dresse un peu à l’écart ; les trois autres, les monts Oscar Wisting, Sverre Hassel et Ole Bjaaland sont, au contraire, beaucoup plus ramassés. Derrière ces cimes, les nuages sont tout noirs ; évidemment ils couvrent d’autres crêtes. En effet, bientôt un massif colossal se dessine, le Thv. Nilsen. L’éclaircie ne dure que quelques minutes, mais nous avons le temps de prendre des alignements sur les crêtes les plus voisines. En tout cas, la position du dépôt est déterminée par sa situation par rapport au glacier. Le sommet du cairn, qui n’atteint pas moins de 2 mètres de haut, est surmonté d’une caisse noire ; au retour, il sera ainsi plus aisé de le découvrir. Une observation de latitude donne 86° 21′ ; l’estime nous place par 86° 23′. La concordance est donc bonne.

De nouveau les nuages sont au ras du sol et la neige recommence à tomber, fine et pulvérulente. Par bonheur, nous avons relevé la direction des parties praticables du glacier… Au début, les crevasses ne sont pas très larges ; en revanche, mais plus loin, rien que des abîmes, et pas la moindre vue. Attachés à une corde, Hassel et moi nous marchons en tête, très prudemment, la boussole en main. Grâce aux skis, nous passons sans accident, alors que les chiens percent la couche de glace qui recouvre les fentes. Lorsque le soleil luit, on reconnaît l’emplacement des crevasses aux ombres projetées par leurs bords, tandis que, par un temps bouché comme aujourd’hui, on ne distingue rien. Malgré nos précautions, l’équipage de Wisting faillit culbuter ; seule une manœuvre rapide de son conducteur le préserva d’une chute qui aurait pu entraîner les conséquences les plus graves. Après avoir gagné environ 60 mètres, nous nous trouvons dans l’obscurité, nous ne pouvons prendre aucun relèvement : la retraite sera par suite très difficile. J’essaie de me rassurer en me représentant que les cairns et ce glacier disloqué que nous devons couper nous permettront de retrouver la route. Après tout, une erreur est si vite commise ! Comme la suite le montrera, mes inquiétudes étaient justifiées.

29 novembre. — Enfin on y voit clair ! Nous découvrons alors que les deux crêtes réunies sous le 86° de latitude se prolongent en un puissant relief vers le sud-est. Sa hauteur varie entre 3 000 et 4 500 mètres. Le massif Thv. Nilsen est la saillie la plus méridionale que nous apercevons d’ici. Les monts Hansen, Wisting, Bjaaland et Hassel forment, comme nous l’avons reconnu hier, un groupe isolé, distinct de la grande chaîne.

Au début de l’étape, rude est la tâche des conducteurs. Sans les plus grandes précautions, attelage et traîneaux rouleraient dans les précipices qui s’ouvrent de tous côtés ; la moindre chute serait ici fatale. Malgré les difficultés du terrain, le convoi arrive à la « Porte de l’Enfer ».


(À suivre.) Traduit et adapté par M. Charles Rabot.


L’ATTELAGE D’HASSEL.