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Hansen, coupole de glace colossale et très accidentée. Il nous guidera au retour. Altitude du campement : 2 610 mètres.

Ce soir encore, nous allons reconnaître le terrain en avant. Toujours et encore des crevasses, et, entre elles, toujours et encore des crêtes de glace. Quoi qu’il en soit, nous allons de l’avant. Comme dans cette région les fentes du glacier sont très visibles, nous avions négligé de prendre une corde ; grosse imprudence, l’événement le prouva. En traversant une surface qui semblait solide, sous l’arrière d’un ski de Hansen, un large morceau de glace s’écroule avec fracas. Mon camarade avait eu une fière chance. Il ne se passe pas de jour sans que nous rendions un fervent hommage à nos patins. Avant le départ, la lecture des explorations antérieures sur la Barrière m’avait convaincu que le ski était indispensable dans une expédition au Pôle Sud, surtout à nous Norvégiens, habitués dès l’enfance à sa pratique. L’expérience confirme cette opinion ; à notre avis, ces engins ont été les artisans de notre victoire. Seuls, en effet, ils ont rendu possible la traversée des régions crevassées et des zones recouvertes de neige pulvérulente.

Après deux heures de marche, nous revenons vers le camp. Du sommet du monticule que nous avons atteint, le terrain paraît plus praticable vers le sud, mais nous avons été si souvent déçus dans nos espoirs ! Que de fois, arrivés sur une crête, nous avons cru que nos tribulations allaient $e terminer… Aujourd’hui, toutefois, nous avons le pressentiment très net que nous touchons à la fin de nos misères. En notre absence, Hassel a mesuré la hauteur du mont Thv. Nilsen : 4 500 mètres.

30 novembre. — Pendant la nuit, tourmente de sud-est ; elle souffle encore au moment du déjeuner, puis brusquement le calme se fait. Sur la piste, ce coup de vent a produit les plus malencontreux effets ; il a enlevé la couche de neige superficielle, si propice au ski, en laissant à découvert une glace dure et écailleuse. Quelle mauvaise idée nous avons eue d’abandonner les crampons au dépôt installé sur le bord inférieur du plateau ! Nos traces d’hier ont en grande partie disparu ; seulement, sur un sastrugi qui a résisté à l’érosion éolienne de cette nuit, nous les retrouvons. Une étape fatigante pour les conducteurs. Pénible, en effet, est leur tâche pour gouverner les traîneaux sur cette surface polie et les empêcher de verser.

Jamais encore le glacier n’a été aussi accidenté. Hassel et moi nous marchons, comme d’habitude, en tête, attachés à une corde. À plusieurs reprises, il est nécessaire de frayer une voie aux véhicules à coups de piolet. Un moment, les crevasses et les séracs semblent fermer toute issue. Seulement, après de longues recherches, nous découvrons un pont tout juste assez large pour les traîneaux ; de chaque bord de cette passerelle un gouffre à donner le frisson. L’impression qu’a dû éprouver Blondin en traversant sur sa corde raide les chutes du Niagara ! Heureusement aucun de nous n’a le vertige et les chiens ne se doutent guère des conséquences qu’entraînerait un faux pas. De l’autre côté du pont, le glacier s’abaisse. Maintenant, nous sommes dans un ravin orienté est-ouest, entre deux boursouflures de glace. À plusieurs reprises, nous grimpons sur le monticule de gauche pour voir s’il ne serait pas possible de reprendre la direction du sud. Pour le moment, rien à tenter de ce côté ; l’autre versant de l’ondulation est inaccessible. Donc, point d’autre ressource que de suivre le ravin ; encore si la route y était facile !

UN PONT DE NEIGE.

Ce boursouflement du glacier atteint bien une hauteur de 30 mètres. Vers l’est, il se termine par un escarpement, tandis qu’à l’ouest il présente une pente douce que nous suivons. Du sommet du mamelon, le glacier paraît plus facile en avant. Après une nouvelle ondulation, nous parviendrons enfin à la grande plaine culminante de cet énorme plateau vers laquelle nous peinons depuis tant de jours…

Voici enfin la plaine tant désirée. De distance en distance elle est accidentée de lignes de séracs, mais ces zones de dislocation sont espacées et entre elles s’étendent des nappes de glace plane. Pour la