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Afin de nous abriter des rafales qui pourraient souffler du plateau supérieur, nous passons au pied du mont Engelstad, et, à la fin de l’étape, nous campons tout contre ce pic. Ici, de même qu’à notre premier passage, la neige est molle et épaisse ; non sans difficultés nous trouvons un bon emplacement pour la tente. Nous voici descendus d’environ un millier de mètres ; on s’en aperçoit sans qu’il soit besoin de consulter les instruments. J’ai l’impression de respirer plus facilement ; après tout, ce n’est peut-être qu’une idée. Pas un souffle d’air et un soleil brûlant, comme au plus fort de l’été en Norvège.

Le lendemain matin, en nous levant, un panorama d’une sublime beauté s’offre à nous. Le camp est installé dans l’étroite brèche séparant le Fridtjof Nansen de l’Ole Engelstad. Abrité par cette dernière montagne, notre bivouac est dans l’ombre, tandis qu’en face de nous la calotte glacée du Nansen est illuminée par un radieux soleil de minuit. Les neiges culminantes luisent dans un éblouissement de lumière jaune ; plus bas, elles se teintent en bleu, puis par une lente dégradation se fondent dans des tons sombres au pied de la montagne. L’Engelstad présente le même contraste : en bas une masse noire striée par l’écroulement blanc du glacier, et en haut une auréole d’or formée par un cirrus arrêté sur la pointe du pic. Plus loin encore dans l’est, le Don Pedro Christophersen dresse dans ce ciel flamboyant ses crêtes fantastiques. Un décor féerique, enveloppé d’un calme profond.

LE REMBARQUEMENT DU MATÉRIEL À BORD DU « FRAM » (JANVIER 1912).

Sur le renflement où commence la descente vers le glacier Axel Heiberg, nous nous arrêtons pour placer des freins sous les traîneaux et assembler les bâtons deux par deux, afin d’avoir en main quelque chose de très solide ; il est indispensable de pouvoir s’arrêter immédiatement, si on découvre devant soi une crevasse. Nous, les skieurs, nous dévalons en tête. Sur cette déclivité garnie d’une couche de neige suffisante pour permettre d’être maître de ses patins, la marche est idéale ; nous filons comme des flèches. Quelques minutes plus tard, nous nous trouvons sur le glacier Heiberg.

Le soir, campé sur l’emplacement du bivouac du 18 novembre, à l’altitude de 900 mètres. D’ici, nous embrassons la vallée que remplit le glacier Axel Heiberg, et apercevons son confluent avec la Barrière. Il paraît uni ; dans ces conditions, mieux vaut le suivre que de tourner son embouchure en passant à travers les montagnes, comme nous l’avons fait il y a deux mois. La distance par cette nouvelle route ne sera guère plus courte ; mais probablement l’économie de temps sera considérable.

Excédés par la longueur des haltes, nous adoptons à partir d’ici un nouvel ordre de route. Désormais, nous parcourrons 28 kilomètres, puis nous nous reposerons six heures et accomplirons ensuite une seconde traite de 28 kilomètres, et ainsi de suite. De cette façon, par vingt-quatre heures, nous couvrirons en moyenne une bonne distance. Grâce à cette disposition, nous gagnâmes beaucoup de temps.

6 janvier. — À sept heures du matin, nous bivouaquons sur le promontoire qui marque le confluent de l’Axel Heiberg et de la Barrière. Le dépôt du 85° 5′ sud de latitude ne doit pas être loin. Dans l’après-midi, nous repartons. Du sommet d’un petit monticule que nous gravissons aussitôt après avoir quitté le bivouac, Bjaaland croit distinguer la cache ; peu de temps après, nous arrivons en vue du mont Betty et de la route suivie à l’aller. De là, avec la jumelle, nous reconnaissons que Bjaaland ne s’est pas trompé. Le petit tas de neige tout là-bas, c’est bien le dépôt. Aussitôt, nous gouvernons droit dans cette direction, et, à onze heures du soir, nous nous retrouvons sur la Barrière. Notre séjour dans les montagnes qui enceignent le Pôle antarctique avait duré cinquante et un jours.

Au dépôt, tout est en ordre. Également ici la chaleur a dû être forte ; le monticule de neige très élevé et très massif sous lequel les provisions avaient été enfouies est en grande partie fondu. Les rations de