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pemmican qui ont subi l’action directe des rayons solaires ont pris les formes les plus étranges. Dès notre arrivée, nous répartissons les provisions sur les traîneaux. À ce bivouac, nous abandonnons en signe de notre passage, quelques-uns des vêtements en loques que nous avons portés pendant le voyage.

Une fois les vivres chargés, deux de nous vont escalader le mont Betty pour y recueillir des échantillons géologiques. Pendant ce temps, nous élevons un grand cairn en pierres sèches dans lequel nous laissons un bidon de 17 litres de pétrole, quarante boîtes d’allumettes et un compte rendu de l’expédition. Peut-être dans l’avenir ce petit dépôt sera-t-il utile à quelque explorateur !

9 janvier. — Les différents dépôts échelonnés sur la Barrière renferment une telle quantité de viande de phoque que nous pourrons en manger tous les jours. En cas de scorbut, cette provision eût été d’un secours inappréciable. Frais et dispos comme nous le sommes, elle n’a d’autre utilité que de nous permettre de varier les menus.

Depuis notre arrivée sur la Barrière, la température s’est notablement relevée ; actuellement, elle se maintient aux environs de −10°. Mais toujours le même temps : de la neige, de la neige, et toujours de la neige. Cela ne finira donc jamais ? De plus, une brume épaisse, on n’y voit pas à 10 mètres devant soi. Température −8°. Il dégèle ; sur les bâches des traîneaux, tout devient humide. Au début de l’étape, la marche sur une neige épaisse est excessivement pénible ; quoi qu’il en soit, les chiens tirent très bien.

Ce soir, à dix heures, au moment du départ, le temps s’améliore et devient relativement clair. Peu après, nous relevons un cairn, à environ 200 mètres dans l’ouest. Aussitôt, route pour le joindre. Il a été quelque peu entamé par le soleil et le vent. Nous y trouvons le document indiquant le cap à suivre, pour atteindre le signal suivant, distant de 5 kilomètres.

Deux mouettes ! Après avoir volé en cercle, elles se posent sur la pyramide. La vue de ces oiseaux nous cause une impression profonde. Ne nous apportent-elles pas le salut du monde vivant dans ce domaine de la mort ? Ces mouettes demeurent un instant immobiles, puis repartent dans la direction du sud. Actuellement, elles se trouvent juste à mi-chemin entre Framheim et le Pôle, et elles continuent leur voyage dans : l’intérieur des terres ! Nous campons par 84° 15′, près d’un de nos cairns.

Le lendemain, à la fin de la journée, nous avons couvert 55 kilomètres. Notre nouvel ordre de marche nous permet de faire pareille étape tous les deux jours : un jour 28 kilomètres, le lendemain 55, voilà le meilleur certificat de la vigueur de nos chiens.

UN ATTELAGE. VUE SUR LA BARRIÈRE.

À mesure que nous nous éloignons de la terre, le temps et la piste deviennent meilleurs. Bientôt le soleil brille de nouveau dans un ciel clair, et la neige redevient unie. Bjaaland, qui, depuis le Pôle, est en avant-garde, remplit ponctuellement ses fonctions d’éclaireur. « Personne n’est parfait », dit le proverbe. Si, pour diriger sa marche, on n’a pas un point de repère à l’horizon, il est impossible de garder la ligne droite, surtout lorsque la brume masque la vue. En pareil cas, on incline tantôt d’un côté, tantôt de l’autre ; ces erreurs se compensant, on se maintient toutefois à peu près dans la direction. Bjaaland dérive, au contraire, constamment à droite. Au départ, Hansen lui indiquait le cap qu’il devait tenir. Aussitôt notre camarade plaçait soigneusement son ski dans la direction prescrite et partait. Ses mouvements dénotaient sa préoccupation de garder la route donnée. Ah ! bien oui, si Hansen ne l’eût fréquemment rappelé à l’ordre, au bout d’une heure environ, Bjaaland aurait décrit un cercle complet et se serait retrouvé au point de départ. Ce défaut de notre éclaireur n’entraîna aucun inconvénient. En effet, lorsque nous ne retrouvons plus nos signaux, nous sommes certains qu’il nous a fait incliner plus à droite, par conséquent nous devons rechercher les cairns dans l’ouest.