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deux mois pour garder notre équilibre sur le pont, nous éprouvons un vrai soulagement à marcher librement sans prendre aucune précaution.

3 janvier. — À neuf heures du matin, ouverture de la chasse. Un gros phoque de Weddell est en vue sur un glaçon, juste par l’avant. À notre approche, il ne bouge pas ; seulement, une fois qu’il a reçu plusieurs balles, il se rend compte de la gravité de son cas et cherche à se jeter à la mer. Trop tard ! Deux hommes se trouvent déjà sur le glaçon et s’assurent de sa personne. Un quart d’heure après l’animal était dépecé sur le pont et nous livrait environ 200 kilogrammes de viande pour les chiens, sans compter un lot pour la table. Trois fois dans la journée, nous réussissons le même coup. Nous voici donc à la tête d’une copieuse provision. Cet heureux événement est fêté comme il convient. Les chiens baffrent jusqu’à ce qu’ils tombent. Par l’endurance dont ils ont fait preuve au cours de cette navigation de cinq mois, ils ont largement mérité cette gratification. Nous observons à table plus de retenue ; néanmoins, le ragoût de phoque disparaît avec rapidité. Dès le premier essai, ce plat antarctique compte des partisans chaleureux ; il en gagne vite beaucoup d’autres. Le bouillon de phoque aux légumes reçoit un accueil encore plus enthousiaste.

Le premier jour qui suit notre entrée dans les glaces, la banquise est si morcelée que nous tenons la route et conservons notre vitesse à peu près tout le temps. Le 4 et le 5 janvier, les choses ne vont pas aussi bien. Les floes sont parfois si resserrés que nous sommes obligés de les tourner. Jamais, cependant, nous ne sommes arrêtés ; toujours nous rencontrons des ouvertures suffisamment larges.

6 janvier. — Dans la journée, les floes deviennent plus étroits et les canaux plus larges. Finalement, à six heures du soir, la mer libre s’ouvre à perte de vue devant nous. Les glaces qui défendent l’entrée de la mer de Ross ont été franchies ! Position à midi : 180° de longitude est et 70° de latitude sud. En quatre jours, la banquise a été traversée sans aucune difficulté. Lorsque la mer libre fournit ensuite au Fram une nouvelle occasion de montrer ses qualités de rouleur de premier ordre, plus d’un parmi nous regretta cette navigation calme au milieu des glaces. La dernière partie du voyage est également favorisée par les circonstances. Le temps est toujours magnifique. Durant les quatre jours suivants que nous passons dans la mer de Ross, presque point d’icebergs, seulement quelques petits blocs.

Le 11 janvier, vers midi, une clarté blanche visible dans le sud annonce que nous ne sommes plus loin du but ; à deux heures et demie, apparaît enfin la Grande Barrière. Après s’être lentement élevée au-dessus de la mer, elle se découvre tout entière dans son imposante majesté. Il est difficile de décrire la première impression produite par cette puissante muraille de glace. En tout cas, il est aisé de comprendre qu’avec sa hauteur de 30 à 35 mètres, elle ait été considérée, il y a soixante-dix ans, comme une barrière infranchissable. À travers ce mur s’ouvre une porte vers l’inconnu, c’est la baie des Baleines, située à environ 100 milles dans l’est du point où nous nous trouvons. Donc, le cap est mis de ce côté ; pendant vingt-quatre heures, nous défilons le long de la Barrière, admirant cette colossale falaise de glace qui constitue un des aspects les plus extraordinaires de la terre. Non sans appréhension nous approchons de la baie, but de notre longue navigation. La trouverons-nous libre ou encombrée de glaces ? Pourrons-nous facilement atterrir ?

LE « FRAM » À LA LISIÈRE DE LA BANQUISE.

Promontoires après promontoires disparaissent derrière nous ; toujours la même muraille blanche. Enfin, dans l’après-midi du 12 janvier, la falaise s’infléchit par 164° de longitude ouest, juste au point indiqué par nos prédécesseurs. Devant nous se découvre une large baie, si longue que la vigie n’en aperçoit pas l’extrémité. Pour l’instant, on ne peut songer à y entrer. Elle est remplie de grandes plaques de glace, débris d’une banquise qui vient de se rompre. Nous avançons alors un peu plus à