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sions. Dans cette région complètement protégée, leur genèse ne saurait être attribuée aux agitations de la mer. Ici la baie est relativement étroite : 5 kilomètres seulement.

L’ascension du front du glacier ne présente aucune difficulté ; en quelques instants nous en atteignons le sommet. La hauteur de l’escarpement terminal ne dépasse pas 20 mètres. Grande est notre émotion en arrivant sur la Barrière. Jamais, jusque-là, nous n’avions eu une vue tendue de cette nappe de glace dans la direction du Sud. Le panorama ne nous cause aucune surprise. À perte de vue, une plaine de neige qui n’en finit pas. Notre itinéraire vers le Sud nous amènera à la lisière des hauteurs que nous avons signalées plus haut. La piste est excellente ; une mince couche de neige reposant sur une nappe solide, bref un terrain idéal pour le ski. D’autre part, le modèle de patin que nous possédons, long et effilé, paraît particulièrement bien approprié à ce genre de surface. Ainsi nous avons découvert le point où il est facile d’escalader la Barrière et constaté que la route s’ouvre vers le Sud, dépourvu d’obstacles. L’emplacement de ce site fut ultérieurement marqué d’un pavillon, et la localité reçut le nom de « Place du Départ ».

Au retour, comme à l’aller, nous croisons de nombreux troupeaux de phoques endormis sur la glace. À notre approche, ils lèvent légèrement la tête, nous regardent un instant, puis se retournent pour continuer leur sieste. Si sur la banquise ces animaux étaient exposés à l’attaque d’ennemis, ils seraient gardés par des sentinelles, comme leurs congénères dans l’Arctique.

Le 10 février 1911, à 9 h. 80 du matin, départ pour le Sud. La caravane comprend quatre hommes et trois traîneaux tirés chacun par six chiens. Chaque véhicule porte environ 250 kilog. d’approvisionnements destinés au dépôt, non compris les vivres et le matériel nécessaires pour le voyage. Ce chargement se compose de pemmican pour les chiens (150 kilog. par traîneau), de viande et de lard de phoque, de poisson sec, de chocolat, de margarine et de biscuits. Le matériel comprend deux tentes pour trois hommes, quatre sacs de couchage, les ustensiles de cuisine et dix longs bambous munis de pavillons noirs, destinés à jalonner la route. Ignorant alors l’état de la Barrière, nous n’avons aucune idée de la durée probable de cette expédition. Les chiens sont bien disposés, et au grand galop nous quittons Framheim. Sur la banquise qui recouvre la baie, nous traversons une série de toross[1]. Cela ne va pas sans incidents ; au passage de cette surface disloquée, les uns après les autres les traîneaux versent sans qu’heureusement il en résulte aucune avarie. Dès le début, le matériel se trouve ainsi soumis à une épreuve de résistance. Au delà, nous passons près de plusieurs troupes de phoques ; les chiens ne peuvent résister à cette tentation, et filent ventre à terre dans la direction du gibier. La lourdeur des charges a raison de leur ardeur, et bientôt ils s’arrêtent d’eux-mêmes.

UN ASPECT DE LA GRANDE BARRIÈRE.

Autour du mouillage du Fram, la glace a complètement disparu ; par suite, le navire peut s’amarrer à la Barrière même. Nos quatre camarades, qui doivent rester à la station, nous font la conduite pour nous prêter main forte dans l’escalade du front du glacier. Au retour, ils chasseront. Sur la banquise les occasions d’un beau coup de fusil ne manquent pas ; dans toutes les directions, ils trouveront des phoques, une pièce qui en vaut la peine. J’ai nommé Wisting chef de la station. En notre absence, les habitants de Framheim devront camionner jusqu’à la maison le reste des approvisionnements débarqués et élever contre le mur ouest de la hutte un appentis pour que la porte de la cuisine ne s’ouvre pas directement sur le glacier. Cette construction servira d’atelier au charpentier. Nos amis devront en outre tuer le plus grand nombre possible

  1. Amoncellements de glaces produits par les pressions auxquelles sont soumises les banquises (Note du traducteur).