Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 19.djvu/69

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capable de nous fournir un trousseau aussi bien qu’un complet. Dans une belle-flanelle très fine et très légère que renferme la boîte de pharmacie, il taille des gilets et des caleçons. Ceux que nous portons actuellement étant très épais, nous craignons qu’ils ne soient trop chauds. Pendant toute la marche vers le Pôle, je portai ceux fabriqués par Wisting ; jamais je n’ai eu des dessous meilleurs. Ce travail terminé, notre camarade n’en a pas fini avec la couture ; après cela, il remet en état les housses des sacs de couchage. Hansen est, comme je l’ai déjà raconté, chargé des traîneaux. Je lui commande en outre quatorze fouets, dont Stubberud lui fournira les manches.

Après consultation avec les menuisiers, j’ai choisi comme modèle un manche composé de trois lames d’hickory, solidement assemblées et recouvertes de lanières de cuir. Les manches d’une seule pièce ne font pas un long usage. Hassel fabrique des mèches rondes et épaisses sur le modèle de celles employées par les Eskimos. Maniées par une main expérimentée, elles laissaient des traces cuisantes. À Hansen incombe le soin de monter les différentes parties des fouets. Quoiqu’il ne soit pas partisan des trois tiges, il n’en exécute pas moins le travail, sans élever la moindre objection. Pendant qu’il se livre à cette besogne, contrairement à son habitude, il reste en conférence avec Wisting après souper. Ces apartés m’étonnent, car notre ami aime à faire son whist après dîner, et il n’y manque jamais, à moins qu’il ne soit retenu par une commande urgente. Un soir, ayant exprimé mon étonnement de l’absence de Hansen, Stubberud répond aussitôt : « Il est en train de fabriquer de nouveaux manches de fouet, et pourtant je garantis la solidité des miens. » Sur ce chapitre, Stubberud est très chatouilleux.

Quand on parle du loup, on en voit la queue. À ce moment, Hansen entre, un fouet à la main. « Quoi, dis-je, de nouveaux fouets ? — Oui, répond-il, ceux à trois tiges que je monte dans la journée, je ne les crois pas susceptibles de fournir une longue carrière. En voici un dans lequel j’ai toute confiance. » Il a, ma foi ! bon air. « Mais es-tu sûr qu’il soit aussi bon que les autres ? lui demandai-je. — Oh ! oui ! répond-il, je suis même prêt à parier n’importe quoi contre les sales fouets que les menuisiers me livrent. » Sous l’insulte, Stubberud bondit : « Nous allons voir cela ! s’écrie-t-il. Approche, si tu as la prétention de croiser ton fouet contre le mien. » Hansen accepte immédiatement le défi. Stubberud et lui prennent chacun leur arme ; d’après les conventions du duel, ils devront lutter jusqu’à ce que l’un des manches soit brisé.

Au commandement « Allez, messieurs ! » les adversaires avancent l’un contre l’autre en fermant les yeux, et les deux manches s’abattent avec force l’un contre l’autre. La première passe ne donne aucun résultat ; les reprises se succèdent, ensuite, très rapides. Stubberud, qui tourne le dos à la table, est si échauffé par la lutte que, sans s’en apercevoir, chaque fois qu’il lève son arme, il donne sur le bord de la table un coup retentissant. Tout à coup, j’entends un craquement. « Tiens, tu vois, mon vieux ! Tu n’es pas de force !» s’écrie Stubberud.

L’arme de Hansen gît par terre, brisée. Les fouets que nous emportâmes dans notre expédition au Pôle, furent remarquablement solides ; toutefois, avant la fin du voyage, ils n’étaient plus intacts. Si l’on ne se servait que de la mèche, ces instruments seraient éternels, mais, dans les cas graves, on emploie le bois. Nous appelions ce châtiment la « confirmation ». On la donnait habituellement, lorsqu’un chien tirait mollement ou refusait d’obéir. En pareil cas, quand la colonne s’arrêtait, on saisissait le délinquant et on lui administrait une volée avec le manche. Les « confirmations », si elles sont fréquentes, entraînent la consommation d’un grand nombre de fouets.

JOHANSEN EMBALLE LE BISCUIT DANS LE « PALAIS DE CRISTAL ».

Au prix d’un travail minutieux, Stubberud allège les cantines des traîneaux en rabotant leurs planches. Malgré cette diminution d’épaisseur, ces caisses résistèrent aux chocs les plus violents. Bjaaland garnit les skis d’attaches très larges pour que nos énormes chaussures puissent s’y adapter. Il en est des courroies qui