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à-tête avec un poisson sec pour souper. Funcho lança alors un regard de travers à la boîte vide et à son maître. Après cela, la ruse n’eut plus guère de succès.

Un très petit nombre de chiens succomba pendant l’hiver. Deux moururent de maladie. Un qui avait perdu une partie de sa fourrure dut être abattu et deux disparurent, probablement engloutis dans des crevasses. Deux fois nous vîmes un chien tomber dans une fente du glacier. Au fond du gouffre, il se promenait tranquillement de long en large, sans aboyer. Ces crevasses n’étaient pas profondes, mais leurs parois très escarpées formaient des murs lisses ; par suite, nos bêtes ne pouvaient en sortir seules.

Les deux disparus moururent sans doute de faim au fond de quelque trou : une mort lente, car le chien eskimo a la vie dure. À diverses reprises, plusieurs de nos animaux demeurèrent absents quelque temps ; suivant toute probabilité, ils avaient glissé dans une crevasse, puis avaient réussi à en sortir. Quand l’envie leur en prenait, les chiens partaient en bordée, quelque temps qu’il fît, par 50° de froid, comme par un coup de blizzard. Ainsi, un beau jour, une chienne appartenant à Bjaaland s’enfuit avec trois amoureux pour aller filer le parfait amour derrière un monticule de glace, sur la banquise. Ils restèrent là huit jours, sans manger, par une température de −50°.

Le 23 août par un temps calme, sous ciel en partie couvert et avec un froid de −42°, nous décidons d’entreprendre la définitive épreuve ! On conduit les traîneaux à la Place du Départ. Ce n’est pas une petite besogne de les sortir du Magasin d’habillement. Il faut d’abord déblayer l’entrée de la neige qui l’obstrue. Après cela, à l’aide d’une poulie, on hisse les véhicules ; chacun pèse dans les 400 kilogrammes. Une fois sortis du magasin, les traîneaux sont amenés devant l’abri thermométrique. Aussitôt après, les conducteurs vont harnacher leurs attelages, restés consignés dans les chenils.

À la vue des préparatifs, les chiens sont dans un état d’excitation indescriptible. Impossible de les faire demeurer tranquilles une minute. Les uns essaient de se libérer pour aller retrouver un ami, tandis que d’autres veulent s’élancer sur un ennemi. Lorsque les bêtes grattent la neige avec leurs pattes de derrière, c’est l’annonce que cela va fumer, et, pour le conducteur, le moment d’ouvrir l’œil et d’être prêt à intervenir. D’un coup de fouet rapide, il empêche la bataille, mais il ne peut être partout à la fois, et, malgré sa vigilance, de furieux combats s’engagent. Quels étranges animaux ! Alors que pendant l’hiver ils ont été relativement paisibles, maintenant qu’ils sont attelés, ils veulent à tout prix se battre.

Enfin tout est paré, en route donc ! Pour la première fois, les attelages sont composés de douze bêtes. Comment cela marchera-t-il ? Nous sommes bientôt délivrés de toute inquiétude à cet égard. La vitesse n’est pas très grande ; il ne saurait d’ailleurs en être autrement au début. Si plusieurs chiens trop gros ont de la peine à suivre, les autres filent très bien. L’escalade du talus de la Barrière est rapidement opérée, quoique la plupart s’arrêtent à mi-hauteur pour reprendre haleine. Le glacier a le même aspect qu’en avril. Le pavillon est toujours debout là où il a été planté et relativement en bon état. Nos anciennes traces vers le Sud sont encore visibles.

WISTING TRAVAILLANT À LA MACHINE À COUDRE (page 63).

24 août. — Pour la première fois, le soleil, absent depuis quatre mois, reparaît. Malheureusement le froid est des plus vifs. Force nous est d’attendre un relèvement de la température. Tant qu’elle demeurera aussi basse, nous ne pouvons songer à poursuivre notre route. Et nous demeurons sur place.

Les jours passent, jamais le moindre signe de l’approche du printemps ; parfois le thermomètre remonte à −30°, puis aussitôt après retombe à −50°. Cette attente est énervante ; j’ai peur que les autres explorateurs, mes rivaux, soient déjà près du but, et ce sentiment est partagé par mes camarades, comme en témoigne leur conversation. « Je serais curieux de savoir à quelle distance, sur la route du Pôle, Scott se