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et dans une chute Edgar Evans éprouva une commotion cérébrale. Il mourut de mort naturelle. Sa disparition laissa notre équipe affaiblie au moment où un hiver précoce fondait sur nous.

Mais tout cela n’est rien en comparaison de ce qui nous attendait sur la Barrière. De nouveau j’affirme que les dispositions prises pour assurer notre retraite étaient satisfaisantes et que personne n’aurait pu prévoir, à cette époque de l’année, les températures et l’état de la neige que nous avons rencontrés. Sur le plateau, entre les 85° et 86° de latitude, nous eûmes −28 ° et −34° ; or, sur la Barrière, par 82° de latitude et à une altitude de 3 000 mètres plus basse, nous avons éprouvé généralement −34° dans la journée, −44° la nuit, avec un perpétuel vent debout durant les marches. Ces circonstances se sont produites en quelque sorte à l’improviste et notre perte est due à l’arrivée subite de ce mauvais temps, phénomène dont il semble impossible de découvrir la cause. Jamais des êtres humains n’ont souffert autant que nous pendant ce dernier mois. En dépit du froid et du vent, nous aurions cependant réussi à passer, sans la maladie d’un second de nos compagnons, le capitaine Oates, sans la diminution de la provision de combustible contenue dans les dépôts, diminution inexplicable, sans enfin ce dernier ouragan. Il nous a arrêtés à 11 milles (20 kilomètres) du dépôt où nous espérions trouver les vivres nécessaires à la dernière partie du voyage. Eut-on jamais plus mauvaise chance ? Nous sommes arrêtés à 11 milles du dépôt One Ton Camp, n’ayant plus de vivres que pour deux jours et de combustible que pour un seul repas. Depuis quatre jours, il nous a été impossible de quitter la tente : l’ouragan hurle autour de nous. Nous sommes faibles, je puis à peine écrire. Cependant, pour ma part, je ne regrette pas d’avoir entrepris cette expédition ; elle montre l’endurance des Anglais, leur esprit de solidarité et prouve qu’ils savent regarder la mort avec autant de courage aujourd’hui que jadis. Nous avons couru des risques, nous savions d’avance que nous allions les affronter. Si les choses ont tourné contre nous, nous ne devons pas nous plaindre, mais nous incliner devant la volonté de la Providence, résolus à faire de notre mieux jusqu’au bout.

Dans cette entreprise, si nous avons donné nos vies, c’est pour l’honneur du pays. Je demande donc à nos compatriotes de veiller à ce que ceux dont nous étions les soutiens ne soient pas abandonnés.

Eussions-nous vécu, le récit que j’aurais fait des souffrances, de l’énergie et du courage de mes compagnons aurait ému tous les cœurs anglais. Ces notes frustes et nos cadavres raconteront notre histoire, mais sûrement, sûrement un grand et riche pays comme le nôtre assurera convenablement l’avenir de nos proches. — R. Scott.


Adapté par M. Charles Rabot.


RATIONS DE TRAÎNEAU DE L’ESCOUADE DU PÔLE : CACAO, PEMMICAN, BISCUITS, SUCRE, BEURRE, THÉ.