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Grand-Prieuré de Malte, établi au xve siècle par les Hospitaliers de Saint-Gilles au bord du Rhône, près des Thermes et de « La Trouille », palais de Constantin, il subsiste, en façade sur le fleuve, un bâtiment de deux étages avec échauguette ronde et corniche coupée de gargouilles, et une chapelle ogivale.

La place du Forum occupe le centre de la ville. Sa dénomination paraîtra quelque peu « méridionale » si l’on songe que, de l’ancien Forum d’Arles, il reste tout juste, encastrés dans le mur d’un hôtel, deux colonnes antiques et un fragment du fronton corinthien d’un temple romain. Mais l’Arles contemporaine, la Provence entière se retrouvent sur le Forum avec la statue de Frédéric Mistral. La physionomie souriante du grand poète, son geste accueillant, semblent convier les visiteurs à l’admiration de la ville, de sa ville plutôt, dont il a chanté les louanges dans cette langue provençale, sonore et musicale, qui lui doit sa brillante renaissance : « Si loin elle s’étend que, du grand Rhône plantureux, elle tient les sept embouchures… Arles a des bœufs marins qui paissent dans les îlots de sa plage… Arles a sa race de chevaux sauvages… Arles, en un seul été, moissonne assez de blé pour se nourrir, si elle veut, sept ans de suite… Elle a des pêcheurs qui l’approvisionnent de toute part… Elle a des navigateurs intrépides qui vont des mers lointaines affronter les tourbillons ! » Ne croirait-on pas entendre le dernier « Roi d’Arles » vanter sa capitale ? En réalité, Mistral est plus qu’un roi, et presque un dieu pour cette population enthousiaste qui parle avec une ardente admiration du grand homme dont elle a voulu, dès son vivant, posséder la statue, privilège presque unique dans un pays où tant de médiocrités sont honorées après leur mort, mais où le génie, encore en vie, est si rarement apprécié à sa valeur. Mistral n’a d’ailleurs pas voulu être en reste de générosité avec les Arlésiens, et, avec le montant du prix Nobel, il a doté la ville du Museon Arlaten (Musée arlésien) que son activité, toujours grande malgré l’âge, se plaisait à orner et à enrichir de curieux documents ethnographiques. Chaque lundi la patache qui dessert Maillane conduisait Mistral prendre à la gare de Graveson le train pour Arles où la journée se passait à classer, disposer, remanier, cataloguer les richesses du Museon Arlaten ; et souvent le Maître faisait lui-même, avec la plus grande affabilité, les honneurs de sa maison qui est le musée de Cluny du Félibrige provençal.

La municipalité d’Arles a cédé à Mistral, pour y installer le Museon Arlaten, les anciens bâtiments du collège qui englobaient l’hôtel du xve siècle des comtes de Laval-Castellane. Des fouilles pratiquées dans la cour intérieure ont mis à jour d’importants vestiges d’une basilique et, sur un socle en marbre, l’inscription grossièrement gravée d’un plaideur mécontent qui maudissait ses juges : « Jugement d’Atleadis, tu es un mauvais jugement ! » Dans les diverses salles ont été rassemblés méthodiquement de très nombreux documents d’ethnographie régionale : meubles, ustensiles, céramiques, costumes, instruments de musique. Ces derniers remplissent la salle Jules-Charles-Roux où les tambourins avec leurs massettes, les « fleitets », les galoubets, fifres et flageolets, les tympanons, évoquent le souvenir de farandoles animées conduites par le « tutu-panpan » du tambourinaire Valmajour en l’honneur de Numa Roumestan !… Voici les coiffes, foulards, chapelles, casaquins et gilets à ramages ; les fers monogrammés pour marquer les taureaux aux ferrades ; les vieilles cheminées à auvent où la marmite est pendue à sa crémaillère ; les ciseaux à moucher, les chauffe-lits à sept trous, les fanaux, les briquets, les poteries communes. Dans des vitrines, les talismans

LE PONT SAINT-BÉNEZET, LE « VIEUX PONT D’AVIGNON OÙ TOUT LE MONDE DANSE EN ROND » (page 270).