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sembla de mauvaise augure. Le père du Pape accourut tout en larmes et poussant des cris afin d’empêcher la sortie de son fils : tu passeras d’abord sur mon corps, lui dit-il. Grégoire répondit : Dieu a dit « tu marcheras sur l’aspic et le basilic, tu fouleras aux pieds le lion et le dragon. La foule muette s’ouvrit pour laisser la voie libre à l’Église Romaine retournant vers la Ville Éternelle…[1] »

FONTAINE DE VAUCLUSE. LE BASSIN D’OÙ JAILLISSENT LES EAUX DE LA SORGUE (page 276).

C’en était fait de la résidence des Papes à Avignon. Les antipapes Clément VII et Benoît XIII cherchèrent à y maintenir le Saint-Siège, mais le dernier quitta définitivement la ville le 22 novembre 1411. Les cardinaux-légats séjournèrent au palais des papes jusqu’en 1790, puis le décret du 14 septembre 1791 réunit à la France Avignon et le Comtat Venaissin. Ce fut une époque terrible ; Jourdan Coupe-Tête, général de l’armée avignonnaise résistant à l’annexion, commanda le 16 octobre 1791 les massacres de la Glacière : 61 prisonniers enfermés dans cette tour furent assommés à coups de barre de fer et jetés dans le précipice creusé à ses pieds. Le dernier épisode sanglant de l’histoire d’Avignon fut l’assassinat du maréchal Brune, tué d’un coup de carabine le 2 août 1815 par Roquefort, dans la chambre no 3 de l’hôtel de la Poste ; son corps, traîné dans les rues, sut jeté dans le Rhône du haut du pont, et l’on écrivit en lettres rouges sur la quatrième arche ; « Tombeau du maréchal Brune. »

LES BARQUES DE PROMENADE À LA FONTAINE DE VAUCLUSE. (page 276).

Ces souvenirs lugubres ne doivent pas effacer les jours heureux que connut la ville pendant un siècle, et qu’on sent renaître sous la plume enchanteresse de Daudet : « Qui n’a pas vu Avignon du temps des Papes n’a rien vu. Pour la gaieté, la vie, l’animation, le train des fêtes, jamais une ville pareille. C’étaient, du matin au soir, des processions, des pèlerinages, les rues jonchées de fleurs, tapissées de hautes lices, des arrivages de cardinaux par le Rhône, bannières au vent, galères pavoisées ; les soldats du Pape qui chantaient du latin sur les places, les crécelles des frères quêteurs ; puis du haut en bas des maisons qui se pressaient en bourdonnant autour du grand palais papal comme des abeilles autour de leur ruche, c’était encore le tic-tac des métiers à dentelles, le va-et-vient des navettes tissant l’or des chasubles, les petits marteaux des ciseleurs

  1. Émile Gebhart. Sainte Catherine de Sienne.