Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 20.djvu/299

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’a lieu la cérémonie la plus émouvante : c’est alors, en effet, que descendent lentement les chasses contenant les reliques et que, la fenêtre de la chapelle haute étant ouverte, elles paraissent au milieu des acclamations frénétiques et des invocations passionnées des pèlerins. Pour qui connaît l’exubérance méridionale on ne saurait faire un tableau suffisamment expressif des gestes supplicatoires et du paroxysme des étreintes ; chacun veut toucher les châsses, car chacun a des grâces à implorer et, s’il en résulte quelque tumulte, trop louables sont les intentions pour que les Saintes s’en chagrinent.

Mistral nous explique d’une manière simple et touchante cette foi populaire et voici le récit de Vincent au chant Ier de Mireille :

« Un enfant était par terre, pleurant, malingre, joli comme saint Jean-Baptiste ; et d’une voix plaintive : ô Saintes, rendez moi la vue, disait-il ! Je vous apporterai mon agnelet cornu. Autour de lui coulaient les pleurs. En même temps les chasses descendaient lentement de là-haut sur le peuple accroupi ; et aussitôt que le câble mollissait tant soit peu, l’église entière, comme un grand vent dans les taillis, criait : grandes Saintes, oh ! venez nous sauver ! Mais, dans les bras de sa marraine, de ses petites mains fluettes, dès que l’enfantelet put toucher aux ossements des trois bienheureuses Marie, il se cramponna aux châsses miraculeuses avec la vigoureuse étreinte du naufragé à qui la mer jette une planche ! Mais à peine sa main saisit avec amour les ossements des Saintes, soudain cria l’enfantelet avec une merveilleuse foi : Je vois les châsses miraculeuses ! Je vois mon aïeule éplorée ! Allons quérir, vite, vite, mon agnelet cornu ! »

Si Mistral parle des trois Saintes, c’est qu’à côté des saintes Marie Jacobé et Salomé sont exposées à la vénération des fidèles les reliques de leur servante sainte Sara. Sainte Sara est la patronne des bohémiens qui viennent, en hordes cosmopolites et bariolées, visiter chaque année à la fête de mai leur protectrice. La crypte de l’église leur est spécialement affectée et, dans l’intervalle des cérémonies religieuses, ils se répandent par la ville et surtout sur la plage où leurs campements improvisés sont un spectacle plein de couleur.

VERRERIES D’AIGUES-MORTES. LES MACHINES ROTATIVES OWENS (page 281).

L’origine du pèlerinage des bohémiens aux Saintes-Maries ne saurait être précisée ; elle est, en tous cas, extrêmement ancienne. Il est curieux de constater la persistance de cette tradition et d’une manifestation religieuse qui n’est pas sans présenter des contradictions assez piquantes. Car les bohémiens, qu’ils aient tous, comme on l’admet généralement, une origine indienne et commune, ou qu’ils constituent deux races tout à fait opposées, l’une orientale (bohémiens proprement dits ou zingari), l’autre méridionale (gitanos), ont une religion dont les pratiques, par certains côtés, se rapprochent singulièrement du culte du feu. Comment ces pratiques s’allient-elles avec les rites d’ordre catholique qui s’accomplissent dans la crypte de Sainte-Sara et pourquoi cette visite annuelle aux Saintes-Maries de la mer ? La question a été maintes fois posée par les auteurs qui se sont occupés de cette région de la France et jamais résolue ; et pourtant il faut un mobile, une raison profonde pour expliquer une tradition si fidèlement suivie. Sans doute les bohémiens sont les habituels suivants des foires et fêtes populaires, au cours desquelles peuvent s’exercer leurs talents et leurs industries particulières ; sans doute la foire de Beaucaire, relativement peu éloignée de la Camargue, attira jadis régulièrement les hordes de la bohème errante et comme le pèlerinage des Saintes suivait de près cette foire célèbre, on peut admettre que les bohémiens aient pris l’habitude de se transporter de Beaucaire aux Saintes-Maries. Mais pourquoi le culte de sainte Sara ? Car il semble bien que là soit toute la question et que les bohémiens se rendent aux Saintes non comme à une foire, mais avant tout comme à une fête religieuse. On a émis l’opinion que la servante des Maries, étant Égyptienne, devait avoir le teint très brun et se rapprocher physiquement du type bohémien. C’est faire reposer sur une bien faible base et sur une pure hypothèse une tradition séculaire et ininterrompue. Si ce n’était pas également une