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laire d’exploiter le chenal de Caronte en véritable réserve à poisson. Les « Bourdigaliers » ont, en effet, possédé de tout temps le long des canaux des Martigues et de Bouc des pêcheries comprenant tout un réseau de « lambes », de « cèdes », de « plans d’eau » dans lequel la capture abondante et facile du poisson est pratiquée au moyen d’un système d’engins en roseaux appelés « bourdigues ».

Aussi la pêche est-elle l’unique industrie de la petite ville des Martigues, bâtie dans un site extrêmement pittoresque au point de jonction des étangs de Caronte et de Berre. Cette situation, ainsi que enchevêtrement des canaux qui sillonnent l’agglomération et bordent la plupart des rues, ont valu aux Martigues l’épithète de Venise provençale. Évidemment, cette réputation est surfaite, mais on doit reconnaître un cachet bien particulier à cette bourgade baignant dans l’eau des étangs, dans l’intérieur de laquelle voguent les barques de pêche aux voiles multicolores, et qui est entourée d’une vieille ceinture de maisons de pêcheurs aux murs tapissés de filets et d’engins de pêche. Le grand soleil lumineux de Provence éclaire cet ensemble romantique et les peintres y trouvent des effets de lumière que l’on ne rencontre, affirment-ils, nulle part ailleurs. Par exemple, la propreté et l’hygiène semblent tout à fait ignorées des Martigaux, et nous engageons vivement les touristes dont l’odorat serait délicat, à ne pas se risquer à une promenade trop matinale dans les ruelles du bourg encombrées à cette heure par les seaux hygiéniques débordants, et même par les vulgaires vases de nuit, qui attendent sans nulle impatience le passage de la « répurgation »…

Dès le début du xvie siècle, la commune actuelle des Martigues était composée de trois communautés : Ferrières, l’Île et Jonquières, ayant chacune son église, ses consuls et son administration particulière. Les habitants ne vivaient pas en très bonne intelligence et des luttes intestines les divisaient depuis long temps. Dans un voyage qu’il entreprit en Provence en 1564, le roi Charles IX visita ces trois quartiers et, à la suite de conférences avec les députations des notables du pays, manifesta le désir de voir réunir les trois villes en une seule communauté. Bien des années s’écoulèrent sans que l’invitation royale fût mise à exécution. Chaque communauté déployait librement sur son église son drapeau qui était bleu pour Ferrières, blanc pour l’Île et rouge pour Jonquières. Enfin, le 21 avril 1581, l’acte d’union des trois communautés fut dressé solennellement dans l’église paroissiale de Ferrières, sous la présidence du prince Henri d’Angoulême, gouverneur de Provence, assisté de M. de Coriolis, président au Parlement. Ce jour-là, consuls et habitants abandonnèrent leurs anciennes rivalités ; il fut décidé que Ferrières, l’Île et Jonquières seraient réunis en une seule communauté sous le nom de ville des Martigues, et le drapeau unique aux trois couleurs flotta sur le beffroi communal.

VULTURNO. LES TOMBEAUX ROMAINS (page 308). — CLICHÉ J. SERRE À SAINT-CHAMAS.

Les derniers contreforts de la chaîne de l’Estaque séparent les Martigues de la côte méditerranéenne. C’est une véritable ascension que nous entreprenons par les zig-zags d’une route heureusement fort bien entretenue. Avec les nombreux lacets se succèdent les tournants brusques et dangereux fidèlement annoncés par les plaques « Touring Club ». La pente est tellement accentuée que, même en petite multiplication, nos bicyclettes nous refusent tout service et doivent être tenues à la main. Mais le pays est suffisamment accidenté et les points de vue assez variés pour compenser la longueur de la côte et, lorsque nous arrivons au col des Ventrons, quelques instants de repos sont bien employés à contempler un admirable panorama sur l’étang de Berre dont les eaux miroitantes sont dorées par les rayons du soleil matinal.

La descente vers Sausset est un enchantement. En roue libre, rafraîchis par la brise de mer, nous glissons sans bruit sur le chemin bordé tour à tour de prairies verdoyantes et d’ombrages touffus ; traversant les « Jardins » dont les maisons coquettes et les élégantes villas annoncent la côte prochaine ;