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1500 v. (1600 kilomètres) en 19 jours, les haltes comprises. Je n’aurais pas mieux demandé que de continuer le même mode de voyage, mais je ne devais plus trouver en quantité suffisante le poisson dont mon attelage était habitué à se nourrir. Je tâchai donc de me procurer des chevaux pour mes Cosaques et pour moi. Avant d’obtenir l’autorisation de les acheter, il me fallut triompher du mauvais vouloir des autorités mandchoues de la Sungari. Pendant que je négociais cette affaire qui ne me retint pas moins de 12 jours à Sulvi, un Goldien apporta dans la butte où je m’étais logé, un énorme tigre qu’il avait tué dans son repaire. Il dressa la bête contre la muraille et tous les habitants du village vinrent accomplir devant elle une cérémonie moitié burlesque, moitié sérieuse, mais en tout cas fortement empreinte de superstition ; ils saluèrent profondément le tigre, l’appelant Monseigneur et le priant d’agréer leurs hommages respectueux.

Entre l’Usuri et la Sungari, la rive droite de l’Amour s’exhausse et offre un terrain éminemment favorable à la culture. La rive gauche, au contraire, est envahie par les eaux du fleuve qui, en serpentant à travers les terres, forme des ruisseaux, des lagunes, des lacs, des criques et des marais.

Types mandchoux et Toungouses. — Dessin de Valentin, d’après Marchal de Lunéville et Timkowski.

28 janvier 1857. — Au-dessus de Sulvi le Bidjan, qui prend sa source dans les monts Hing-Gan, se jette dans le fleuve Amour par la rive gauche. Un des affluents de cette rivière, le Djujur, mérite, au point de vue de la métallurgie, une attention toute spéciale. Suivant le rapport des Goldiens, l’on trouverait sur ses rives des lamelles d’argent qui, d’après la description qu’on m’en a faite, doivent être de même formation que l’argent telluré des montagnes de l’Oural et de l’Altaï. Les Goldiens dédaignent ce trésor, ou, pour mieux dire, il leur inspire une terreur superstitieuse dont le sens moral n’échappera à personne. Ils prétendent que l’homme qui a le malheur de rencontrer les lamelles d’argent du Djujur est poursuivi pendant tout le reste de sa vie par les mauvais esprits. Je ne pouvais pas remonter à l’origine de cette croyance, je pouvais encore moins vérifier jusqu’à quel point l’existence des richesses dont on me parlait n’est pas fabuleuse ; car le ruisseau sur les bords duquel on doit les trouver coule à 200 milles de ma route. Les Goldiens me donnèrent cependant un autre renseignement qui, s’il est exact, pourra déterminer les voyageurs à tenter une exploration. Si, comme ils me l’ont assuré, le Djujur coule de l’ouest à l’est, la distance se trouverait réduite à 63 milles. Pour moi, qui n’allais pas à la recherche d’une nouvelle Californie, j’écartai cette vision séduisante. J’avais besoin de ne pas me laisser amollir car j’allais affronter le redoutable défilé rocheux du Hing-Gan. Ce défilé, au fond duquel coule l’Amour, se