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belle église desservie par les Pères italiens. Près de là se trouve la procure des Missions étrangères en Chine.

Nous assistons, à la procure, au départ de trois courriers chinois se rendant dans les provinces du Nord, et l’un jusqu’aux frontières du Thibet. Ils seront trois mois dans leur voyage, naviguant presque toujours sur les fleuves et sur les canaux. À la sortie de Canton, il y a une énorme montagne à franchir. Tous les transports s’y font à dos d’homme, et on trouve des maisons de roulage très-bien organisées pour ce service. Qu’on juge de l’immense activité de ce transport, en songeant que toutes les matières premières fabriquées à Canton ou destinées à l’exportation passent par cette route. De l’autre côté de la montagne coulent des rivières dans toutes les directions. Avec l’argent destiné aux missions, les courriers achètent à Canton des toiles et autres marchandises indigènes, dans lesquelles ils enveloppent avec soin les objets européens et religieux qu’ils portent aux chrétientés. Arrivés à leur destination, ils font le commerce, ils vendent les marchandises achetées à Canton, rendent l’argent aux Pères, et le surplus est pour eux et devient leur profit légitime.

Nous prenons avec le P. Rousseille un chinese boat, et nous allons avec lui, au fond de la baie, visiter le collège des missionnaires. Nous descendons au débarcadère de Jardine, nom d’un riche négociant, qui tient à Hong-Kong le premier rang. Il a bâti sur un mamelon une charmante villa, puis, à ses pieds, au bord de la mer, les bureaux de sa maison. C’est une construction magnifique, en belles pierres de taille ; on dirait un ministère. On entend, à une lieue, remuer les livres sterling, les piastres mexicaines et les lingots. M. Jardine a une garde avec lui, ses cipayes qu’il paye et qu’il emprunte au gouvernement ; il a son pavillon, le pavillon de la maison Jardine Matheson, et des canons. Nous en voyons un, somptueusement fondu, et nous reconnaissons avec surprise les fleurs de lis et le soleil de Louis XIV. Quel caprice du sort a amené le canon du grand roi chez ce roi de la finance ? Il commerce de tout et remue les millions à la pelle. Il a tout un arsenal et répare lui-même ses vaisseaux, qui vont répandre l’opium et échanger le thé et la soie dans toutes les parties de la Chine. C’est l’opium qui a fait la fortune de cette maison, comme de toutes les grandes maisons de Hong-Kong.

Nous nous rendons, en gravissant la colline, au collège des missionnaires, isolé au milieu de la montagne. Leur pauvreté les sauve de toute visite des forbans. Ces pirates sont venus, cependant, une fois au nombre de huit ; mais ils n’ont rien trouvé de précieux à emporter, et ils sont partis, non sans avoir menacé de leurs sabres l’un des missionnaires. Les Pères ont maintenant des piques, des fusils et de gros chiens qui font bonne garde. Nous recevons d’eux le plus affectueux accueil. Nous revoyons le P. Leturdu et le P. Fontaine, venus à bord de la frégate. Nous prenons avec eux du thé et des gâteaux secs apportés de Canton. Nous allons ensuite dans la salle d’études, ou de jeunes Chinois, en longue robe bleue, apprennent le latin et leur langue maternelle. Nous nous faisons écrire nos noms en chinois, et nous assistons à la classe du maître indigène, où tous les élèves répètent à la fois leur leçon : ce qui produit un bruit assez discordant, mais ordonné par les rites.

Nous redescendons la colline en faisant un détour pour voir la Vallée heureuse, où les Anglais ont établi un turf, une superbe prairie pour les courses et les promenades à cheval. Un rouleau y vient chaque jour épaissir le gazon comme dans les parcs anglais. Le nom d’Happy valley donné à cet endroit vient des cimetières qui l’entourent. On en compte trois, un anglican, un catholique, et un zoroastrien où l’on brûle les corps. De l’autre côté, à même la montagne, sans enclos, et çà et là au milieu des pins et des rochers, on voit une multitude de tombeaux chinois, avec une pierre de granit debout, indiquant le nom du défunt, l’année et le jour de son décès. Tout alentour, les parents ont soin de ménager un banc circulaire pour que l’esprit puisse se reposer ; et le long de la route, nous trouvons des papiers argentés, destinés à retenir le diable et à l’empêcher de dévorer l’âme du défunt que l’on porte à sa dernière demeure. Le diable, croyant voir de l’argent, s’arrête pour le ramasser, et donne à l’esprit le temps d’être installé dans son tombeau. C’est ainsi que les Chinois, non contents d’attraper les Européens, cherchent à duper même le diable, et, en vérité, je me demande si, le plus souvent, ils ne peuvent pas lutter avec avantage !

Nous revenons, à la voile, à l’hôtel du Club.

Sir John Bowring est le troisième gouverneur de Hong-Kong. Sous lui, la colonie a pris une extension rapide ; de nouvelles rues se sont ouvertes ; de vastes quartiers se sont bâtis, et la population de l’île a presque doublé de nombre. On compte aujourd’hui à Hong-Kong six mille Européens et soixante mille Chinois. Malheureusement, sir John tient plus à la quantité qu’à la qualité, et la colonie anglaise est devenue le refuge de tous les bandits de la rivière de Canton. Ils viennent sans crainte, s’y approvisionner, et le gouverneur nous avouait que, dans l’année, il avait été vendu quatre mille petits canons et pierriers aux pirates ou autres possesseurs de jonques dans la rivière. La police blanche et noire de sir John a, nuit et jour, le mousqueton sur l’épaule, et elle a fort grand-peine à empêcher les vols. Une aventure arrivée, l’été dernier, au commandant du Catinat, est assez caractéristique. Il n’avait point confiance dans l’honnêteté de la population de Hong-Kong, et ne descendait jamais à terre qu’avec ses pistolets dans ses poches. En plein jour, à deux heures de l’après-midi, à quelques pas de son canot, quatre hommes robustes le saisissent en arrière par les bras. Puis un petit Chinois vient tranquillement lui enlever sa bourse et lui décrocher sa montre. Après quoi, une violente secousse le jette par terre, et le tour est fait. Tous les Chinois ébahis regardent, sourient ; aucun ne lui vient en aide, et les voleurs se perdent dans la foule.

Entre les Européens et les Chinois se groupent, tant à Hong-Kong qu’a Macao, un assez grand nombre de Parsis, adorateurs du feu. Ils viennent de l’Inde, la plu-