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un archet en forme d’arc, un tambourin et des chants accompagnés de battements de mains en cadence. Les chants sont graves, mâles, énergiques ; ils forment une mélodie indéfinissable qu’il faudrait entendre souvent pour pouvoir l’apprécier à sa juste valeur ; mais qui, j’en suis convaincu, ne laisse pas d’avoir son mérite, sauf lorsque des voix plus juvéniles y joignent un cri perçant comme le sifflet d’une locomotive. J’admire les poumons de ces musiciens qui poursuivent, pendant trois quarts d’heure, la même complainte aux interminables strophes, et qui en ont sans doute bien souvent charmé les ennuis de la caravane, dans sa marche à travers le grand désert marocain.

Ces fêtes sont rares ; le Maure n’aime pas à sortir de sa routine de chaque jour ; il vit dans son harem loin des yeux profanes et ne se mêle à ses amis qu’au dehors, dans la rue, au marché. C’étaient ici les adieux de la jeunesse, et demain, la maison, close aux amis, deviendra l’asile inviolable de la jeune épouse.

Les frais sont du reste peu considérables : les vivres sont à bon marché ; il y a huit jours, la viande se vendait à Battoun deux sous la livre et l’on se plaignait de cherté ; les musiciens sont payés au moyen d’une offrande envoyée le surlendemain par les invités. À dix heures le divertissement dure encore, mais déjà quelques-uns des assistants ont rallumé leur lanterne au fanal placé à l’entrée, et se sont silencieusement éloignés. Nous suivons des cavaliers à cet exemple ; la lanterne est fort utile, car, sauf de rares lumignons sous les arcades des maisons juives, tout est plongé dans l’obscurité la plus profonde. Au bruit de nos pas s’élèvent à nos côtés de sourds murmures, et nous distinguons des masses encapuchonnées ramassées contre les maisons : nous importunons leur sommeil : bientôt nous arrivons à notre gîte ; je suis fatigué, mais ravi de cette première journée.

Costumes du Maroc. — Une caravane.


JEUDI.


Le marché du jeudi est le plus considérable de toute la semaine ; aussi quelle affluence ! quelle animation ! Derrière la ville, hors la porte méridionale, s’étend une vaste plaine, irrégulièrement tracée ; elle est bordée d’un côté par les murs de la ville et le beau jardin du consulat de Suède, où s’épanouissent les orangers et les célestinas ; de l’autre, elle va se perdre sur les premières hauteurs de la campagne, et elle est séparée par de gigantesques roseaux des plaines de sable du désert. Tout cet espace est noir de monde, masse compacte d’où s’échappent mille cris confus : laboureurs et femmes de la campagne, accroupis au centre de leurs provisions, nègres courant çà et là pour faire les commissions de leurs maîtres, Maures achetant avec force vociférations, et juifs tenant leur longue bourse à la main et n’en sortant qu’avec peine la moindre pièce. Au milieu de tout cela, circulent chevaux ou ânes, dont les charges volumineuses débordent des deux côtés et causent d’aussi grands ravages dans les