Page:Le Tour du monde - 01.djvu/173

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

demi-heure de marche, nous arrivons à notre demeure, située au pied d’une colline boisée où se trouve un temple de Bouddha, qui domine la baie et toute la ville. À peine arrivés, nous recevons la visite de six bouniô, ou grands fonctionnaires désignés comme plénipotentiaires, qui viennent complimenter l’ambassadeur et s’informer des nouvelles de sa santé. Puis survient tout un dîner envoyé par le taïcoun, dîner somptueux et copieux, semblable à celui de Simoda, et que nous sommes obligés d’avaler séance tenante. Le taïcoun nous a fait également la gracieuseté de nous envoyer d’immenses paniers de fruits, des poires, des marrons, du raisin ; et il nous annonce son intention de nous en envoyer autant chaque matin, durant notre séjour dans sa capitale.

Enceinte des jardins de l’empereur du Japon à Yédo. — Dessin de Morin, d’après M. de Trévise.

L’emplacement de la capitale du Japon occupe cent milles carrés, et sa population est de deux millions et demi d’habitants. Il y a dans Yédo une foule de petites hauteurs boisées, couvertes de bonzeries, et d’où l’on a une très-belle vue sur le reste de la ville. L’on rencontre à chaque instant de grands jardins, des parcs où se promènent les autorités japonaises avec leurs familles, car elles ne sortent jamais que pour affaires. Au Japon, comme en Chine, les autorités se montrent rarement au peuple, et toujours en costume de cérémonie et entourées d’un cortége.

Quand l’empereur du Japon sort, les rues doivent être vides, chacun doit s’enfermer chez soi, et la ville doit rentrer dans l’immobilité et le silence : les rares spectateurs de la scène doivent demeurer le front courbé contre terre, et la moindre infraction à cette posture serait punie de mort. Au reste, les habitants de Yédo sont rarement troublés par la présence de leur souverain. Il ne sort plus de l’enceinte de son palais que cinq ou six fois par an, en norimon, pour aller adorer les images de ses ancêtres dans un temple situé à une lieue de la ville. Il est tellement circonscrit par l’étiquette, sa vie est tellement entrelacée dans les rites, qu’il devient de plus en plus un demi-dieu, invisible et trop élevé en dignité pour s’occuper des affaires de ce monde. Aussi c’est le premier ministre, ou gotaïro, et les conseils qui gouvernent. On voit que l’institution n’a pas mal dévié de son but. Le taïcoun, lieutenant de l’empereur ecclésiastique, souverain absolu du Japon, établi pour décharger le mikado du poids des affaires, s’en décharge à son tour sur son premier ministre. De nos jours, le taïcoun devient insensiblement un second mikado.

Le lendemain de notre installation à Yédo, à six heures du matin, nous sommes sortis, M. Mermet, Maubourg et moi, pour faire une longue promenade du côté du palais de l’empereur. Nous n’avons eu pour le trouver qu’à toujours aller du côté opposé à celui que nos conducteurs voulaient nous faire prendre. Nous avons traversé deux vastes enceintes, avec de larges fossés, pleins d’une eau