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perte de territoire, leurs comptes avec l’Espagne victorieuse. Mais revenons aux notes de Richardson.


L’empereur négociant. — Voyage à Maroc. — État du pays. Les charmeurs de serpents. — Le cimetière.

« L’empereur avant son avènement au trône était administrateur de la douane de Mogador : c’est là qu’il a acquis ces goûts de commerce et cette habitude des affaires, qu’il a montrés dès le commencement de son règne.

« Il reçoit les visites des marchands impériaux de Mogador, ces visites sont forcées surtout si les négociants sont ses débiteurs ; elles ont lieu tous les trois ou quatre ans, ce qui est fort raisonnable quand on considère qu’elles coûtent à chaque marchand de 3000 à 4000 dollars, en échange desquels ils obtiennent des prolongations ou des augmentations de crédits.

Le nombre des marchands impériaux est de vingt environ ; trois sont Anglais, les autres sont, pour la plupart des juifs de Barbarie. Aucun négociant étranger ne peut lutter avec les marchands de cette corporation dont les arriérés s’accumulent d’une année sur l’autre. Quand ces arriérés s’accroissent de telle façon qu’il n’y a aucune chance d’en être payé, l’empereur, pour conserver sa bande de marchands-esclaves, leur remettra la moitié ou plus de leurs dettes. Mais en échange d’une telle condescendance, il ne laisse pas échapper une si bonne occasion de se faire faire de beaux cadeaux. Les marchands de Mogador réunis doivent plus de quinze cent mille dollars à l’empereur… ?

« Les marchands qui vont de Mogador à Maroc pour rendre visite à l’empereur s’arrêtent : 1o aux jardins de l’empereur, à cinq heures de Mogador : on y trouve de beaux figuiers et une source ; 2o à Aïn Omar ; 3o à Sishourra ; 4o à Wad-Enfas.

« Le pays les deux premiers jours est magnifique, semé de superbes forêts d’argans. Le troisième et le quatrième jour on traverse un pays de plaines ouvertes. Le second jour on voit distinctement la chaîne du grand Atlas qui s’étage derrière la ville de Maroc, tandis qu’on laisse derrière soi, sur la gauche, la chaîne pittoresque du Djebel-Hedid, dont quelques sommets atteignent et dépassent 700 mètres d’élévation. Cette chaîne, qui court de Mogador à Asfi, parallèlement à la côte, doit son nom (Montagne de fer) à la grande quantité de minerai qu’elle contient et qui fut, dit-on, exploitée à une époque où il y avait quelque industrie dans le pays. La plaine d’Akermout qui se déroule entre le Djebel-Hedid et l’Océan, est jonchée de débris de monuments. Là, disent les gens du pays, s’élevait, pas plus tard que dans le siècle dernier, une grande, riche et populeuse cité. Quel était son nom ? comment a-t-elle péri ? Nul ne peut le dire. Le Maroc est la terre des vestiges sans souvenirs. Le cinquième jour, aux approches de la capitale, la campagne se couvre de dattiers sauvages et de palmiers nains. L’Atlas se dessine plus imposant, plus grandiose à mesure qu’on avance ; c’est le seul intérêt qu’offre le voyage et il suffit à captiver toute l’attention.

« À mi-route, au « Cou du Chameau », on rencontre un puits situé au milieu d’un pays aride et désolé. Tous les ânes de la caravane des marchands y périrent de soif. D’après les dernières volontés du saint qui a creusé ce puits, il n’est pas permis de faire boire son eau aux animaux. On attacha les chevaux et les mules à la margelle du puits, ils regardaient avec des yeux avides l’eau qu’on tirait pour les hommes, ils en aspiraient bruyamment l’odeur ; mais on ne permit pas de leur en donner une seule goutte. Deux chevaux se débarrassèrent de leurs entraves et, rendus plus furieux encore par la soif, se battirent avec acharnement. « Voyez, voyez, disaient les Maures, le saint est en colère parce que vous avez voulu donner à boire à vos chevaux. »

« Nos marchands cependant, malgré le saint, cet ennemi invisible des animaux, firent provision d’eau, et ils en abreuvèrent leurs chevaux pendant la nuit, et le jour suivant pendant la marche.

« Tout le long de la route l’installation est déplorable, ainsi que dans la capitale : la salle d’attente des chrétiens près du palais de l’empereur n’est qu’un misérable abri dont les murs sont défoncés. Dans la capitale, tout tombe en ruine. L’empereur ne répare point ses palais, pas même les jalousies qui ferment les fenêtres de son harem : son argent et sa fortune personnelle, voilà son seul souci.

« La présentation des marchands à l’empereur eut lieu de la manière suivante : à neuf heures du matin on les introduisit dans un jardin où se trouvaient environ 2000 soldats en ligne, tous d’un aspect féroce. Après avoir passé devant ces guerriers barbares, ils arrivèrent dans une grande cour entourée de bâtiments où ils attendirent environ cinq minutes. Les portes du palais s’ouvrirent tout à coup et l’empereur apparut monté sur un magnifique cheval blanc, suivi d’une escorte de courtisans tous à pied. Sa Majesté Impériale était accompagnée du gouverneur de Mogador qui marchait à ses côtés.

« Le gouverneur présenta d’abord les fonctionnaires de Mogador, puis les principaux Maures, ensuite les chrétiens, et enfin les juifs ; ces derniers, en passant devant l’empereur, ôtaient leurs chaussures. Ils défilaient un à un, suivis chacun de son cadeau porté par un domestique. L’emperèur fut très-gracieux, il demanda les noms de tous et condescendit à les remercier particulièrement pour leurs présents.

« Chaque marchand portait un connaissement des présents qu’il offrait et remettait cette liste au gouverneur, car le sultan n’inspectait pas les cadeaux qu’on lui faisait ; ouvrir un seul colis eût été de mauvais goût, et eût fort blessé la délicatesse de Sa Majesté Impériale.

« La présentation de quinze marchands dura environ vingt minutes ; la cérémonie finie, il leur fut permis de se promener dans les jardins de l’empereur et même d’y cueillir quelques fruits.

« Les négociants attendirent ensuite une quinzaine de jours avant de pouvoir présenter un cadeau au fils aîné de l’empereur… Je tiens tous ces détails des marchands eux-mêmes. La valeur des présents qu’on fit dans cette