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AVENTURES ET CHASSES DU VOYAGEUR ANDERSON

DANS L’AFRIQUE AUSTRALE.


Charles-Jean Anderson, né en Suède, est un des voyageurs qui, de nos jours, ont renouvelé entièrement la géographie de l’Afrique Australe. On peut le ranger immédiatement après David Livingstone et Robert Moffat. De 1850 à 1854, il a successivement visité le pays des Damaras, demeuré jusqu’alors inexploré, la contrée d’Ovambo, dont le nom même était inconnu en Europe, et enfin les régions qui entourent à l’ouest le lac Ngami, découvert peu auparavant par Livingstone. À l’exemple de ce dernier, Anderson parcourt de nouveau, à l’heure présente, le théâtre de ses découvertes, pour les compléter et pour trouver, entre l’Europe civilisatrice et les tribus barbares parmi lesquelles il vit et se dévoue, la voie de communication la plus courte et la plus facile. Nous aurons à entretenir nos lecteurs des travaux actuels de ce voyageur lorsqu’il publiera sa relation ; en attendant, nous avons pensé que des fragments de ses récits de chasse et de ses luttes avec les hôtes puissants des forêts africaines pourront donner quelque idée de la trempe de son caractère et de l’énergie de son âme.


I.


Girafe attaquée par une bande de lions. — Bond du lion. Compagnons de chasse inattendus, mais peu agréables.

… La plaine de Kobis où je passai quelques semaines, abondait en éléphants, en rhinocéros, gnous, zèbres, etc. Les girafes étaient plus rares ; cependant, elles se montraient quelquefois dans le voisinage des étangs, alors que j’entrais en chasse après le coucher du soleil.

Un soir j’avais tiré un lion, et je l’avais blessé. Le lendemain matin, de très-bonne heure, je me mis à la recherche de la bête, dans l’espoir de l’achever. Bientôt nous aperçûmes sur notre chemin des voies nombreuses et rapprochées. Nous nous arrêtâmes pour les interroger. Toute une troupe de lions avait passé par là ; je reconnus aussi les empreintes des pieds d’une girafe. Devant ce fouillis de pistes, nous demeurions embarrassés. Pendant que je m’efforçais de démêler celles du lion que j’avais blessé, voilà que tout à coup les naturels qui m’accompagnaient se précipitent en avant. L’instant d’après, les échos de la jungle m’apportent des cris de triomphe. Je crois que mes compagnons viennent de découvrir mon lion ; à mon tour je m’élance ; mais, qu’on juge de ma surprise, lorsque dans une clairière j’aperçois, non pas un lion mort, comme je m’y attendais, mais bien cinq lions vivants, deux mâles et trois femelles. Trois d’entre eux s’acharnaient sur une superbe girafe, tandis que, tout auprès, les deux autres surveillaient l’œuvre de mort avec des yeux étincelants.

La scène était si imposante, que, sur le premier moment, j’oubliai mon fusil. Cependant, les Buschmen, mes compagnons, qui se promettaient un ample festin, se jetèrent follement au milieu des lions, et, par leurs cris perçants, ou plutôt par leurs hurlements, ils les obligèrent à lâcher leur proie et à battre en retraite.

Quand j’arrivai près de la girafe, elle était complétement terrassée, et gisait pantelante sur le sable. Elle fit quelques efforts impuissants pour soulever sa tête ; les convulsions de l’agonie agitaient son corps, que l’on voyait trembler et frissonner. Le pauvre animal ne tarda pas à expirer ; il avait reçu de profondes blessures ; ses terribles ennemis avaient enfoncé leurs dents et leurs griffes cruelles dans sa poitrine et dans ses flancs. Les muscles du cou, si épais et si forts, avaient été déchirés.

Il ne fallait plus songer à poursuivre encore le lion. Les naturels se mirent è dépecer le caméléopard et à s’en repaître ; ils restèrent sur sa carcasse jusqu’à ce qu’ils l’eussent entièrement dévoré. Le lendemain, j’eus la bonne fortune de me rencontrer avec mon royal adversaire, et d’en finir promptement avec lui.

J’avais déjà fait connaissance avec les lions dans le pays des Damaras. Un jour, comme je finissais un frugal déjeuner, j’entendis tout à coup les indigènes pousser autour de moi le cri : Ongeama (le lion) ! Mais les naturels avaient tant de fois crié au lion ! au lion ! sans apparence de danger, que je ne voulus pas d’abord me déranger, et que je ne consentis à partir, sur leurs instances réitérées, qu’après m’être muni de balles coniques, d’allumettes chimiques, de couteaux et autres ustensiles nécessaires. Quelques Damaras étaient entrés dans le fourré pour en expulser l’ennemi.

Nous atteignîmes bientôt la place que l’on supposait être le refuge du lion ; il y avait là un épais fourré de tamarins, sur les bords de l’Omutenna, un des affluents du Swakop. Un grand nombre de Damaras et de Namaquas, armés d’assagaïs et de fusils, étaient tout autour rangés en ordre de bataille.

Comme les batteurs me semblaient un peu craintifs et lents dans leurs mouvements, je les rappelai et je pénétrai moi-même dans le fourré, accompagné de deux personnes et de quelques chiens. C’était me hasarder beaucoup, car en certains endroits les buissons étaient si épais, qu’ils m’obligeaient à ramper sur les mains et sur les pieds, et que le lion aurait très-bien pu m’appliquer sur la tête à l’improviste une de ses larges pattes. Tout à coup j’entends à quelques pas de moi un rugissement effroyable ; les chiens, remplis de terreur, viennent se blottir derrière moi, le poil hérissé et la queue entre les