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tons de l’entrée : quelques Marocains sont accroupis à terre, les jambes caoisées, devant leurs petits enclos, laissant aux femmes le soin de cuire le pain hors la hutte. L’aspect général est sale et misérable.

Non loin de là, nous rencontrons deux caravanes dont le voyage commence ; les chameaux se suivent en longue file, le cou en avant, la tête un peu en arrière, un vrai tableau de Decamps ou de ce pauvre Marilhat. Il ne manque que les palmiers, fort rares de ce côté de l’Afrique. Après quatre heures de promenade, nous revenons par les bords de la mer, fort sablonneux sur cette partie du littoral où la marée se fait sentir.

Nous rencontrons beaucoup de Maures qui reviennent du marché ; parmi ceux-ci quelques femmes de la campagne, portant sur leur dos un enfant enveloppé dans leur bournous, et si bien enveloppé qu’on n’aperçoit que la tête ou une extrémité de jambe ou de bras. ville est toujours d’une excessive animation, surtout la rue menant au marché ; des deux côtés sont construites de petites baraques en bois, basses et adossées aux maisons ; le marchand est couché au fond, jambes croisées au milieu de ses marchandises. La rue est le lien de réunion général ; on s’y cherche, on s’y visite, on s’y raconte les événements, on discute sur le marché du matin, sur les voleurs pris la veille, et au milieu de tout cela passent les bêtes de somme chargées de ballots, et les juifs écoutant tout, souriant à tout, offrant sans cesse leurs services et ne se rebutant pas d’un refus répété.

Le dialecte parlé au Maroc est dur, et m’a semblé plus rauque que l’arabe, avec lequel il offre cependant beaucoup de ressemblance. À propos de juifs, j’oublie de mentionner qu’à ma rentrée, à ma sortie, à toute heure enfin je retrouve mon marchand a ma porte ; il me quitte avec force saluts ; l’instant après il revient en m’apportant un nouvel objet ; je ne puis m’en défaire, et ma visite chez un de ses confrères lui tient fort à cœur. Ce confrère était un fils d’Israël qui m’a vendu quelques poteries de Fez ; les couleurs sont vives, les formes gracieuses, les prix minimes, mais les défauts nombreux. « C’est ce qui en fait la valeur, me dit assez spirituellement le marchand, s’ils n’avaient pas de défaut ils ne seraient pas arabes ! »

De leur côté, les Arabes montrent le poing aux juifs et les rançonnent quand ils le peuvent : c’est l’éternel dissentiment entre Isaac et Ismaël[1].

Quand le soir est venu, des détonations, qui se succèdent, annoncent la continuation de la fête du mariage manne. Avant de rejoindre le cortège de mon hôte d’hier, j’en rencontre un autre plus modeste ; la noce du pauvre passe : quelques musiciens, quelques lanternes, les assistants marchant l’un après l’autre, puis le mari conduisant la mule sur laquelle est huchée la femme, immobile et voilée. Quelques amis ferment la marche et le tout a bientôt disparu. Il n’en est pas de même de la noce du riche, le bruit augmente, se rapproche et nous nous joignons au cortége. Ici la mariée est encore absente, on va la chercher en cérémonie. Sur une mule, monture consacrée en pareille circonstance, est placé un grand panier carré garni en toile blanche, d’où sort un mannequin féminin, recouvert d’un grand manteau rouge et d’un turban en pointe blanc et rouge ; des hommes soutiennent des deux côtés le volumineux échafaudage, qui dépasse de beaucoup le dos de la mule et atteint presque la hauteur des maisons mauresques. Les fifres et les tambours suivent la bête, devant laquelle on tire des coups de fusils qui font à tout moment arrêter le cortége. La lune éclaire cette singulière procession, qui serpente à travers les méandres de la ville, afin de la faire participer tout entière à la réjouissance ; enfin l’on arrive chez la fiancée ; les amis, après quelques pourparlers, la reçoivent ; confiée à leur garde, elle est soigneusement voilée ; ils la placent sur la mule enveloppée des ornements qu’ils ont apportés et la conduisent chez son futur époux. Il la fait entrer chez lui, et la voit alors pour la première fois de sa vie. On assure cependant que, si elle lui déplaît trop, il peut la rendre à son père, en payant une forte indemnité ; ce moyen est rarement employé, parce qu’il en rejaillit toujours une sorte de déshonneur sur la famille de la répudiée.

J’ai terminé ma journée en passant une demi-heure au petit théâtre organisé par les riches juifs de Tanger ; il est fort simple, on a recouvert de toile une cour garnie de bancs ; les galeries du premier étage forment les loges qu’occupent les consuls et huit ou dix juives, dont la parure fait encore ressortir la beauté. Des Maures, jambes nues, arrangent la scène, ce qui ne laisse pas de produire un singulier effet. On joue ime comédie espagnole suivie de danses ; peu de Marocain assistent au spectacle.

Quelques gardes sillonnent les rues de la ville en criant et en s’éclairant d’une lanterne, double moyen de prévenir les voleurs de leur passage. Hamet admire beaucoup cette organisation et m’assure qu’elle est égale à celle de Gibraltar. Mais œ matin, quand j’ai cru avoir perdu ma bourse au marché, il s’arrachait le turban, criait, gémissait et m’avouait que les vols sont bien nombreux à Tanger.

VENDREDI.

Chez les musulmans, c’est le jour du repos ; ils vont prier dans les mosquées dont l’extérieur est orné d’une tour quadrangulaire surmontée d’un belvédère et d’une longue perche : deux fois par jour le muezzin convoque du haut de cette tour les fidèles. Je ne vois que le parvis de la mosquée, l’entrée étant formellement interdite aux infidèles. Je m’en console par une promenade hors les murs, non loin desquels se trouve un de ces puits tels que les patriarches ont dû les creuser pour abreuver leurs troupeaux. À l’ombre des grands roseaux, entourée d’aloès et de cactus sauvages, s’ouvre la citerne ; grimpés sur le rebord, les jambes pendantes, la tête au-dessus de l’orifice, des enfants suivent la descente de leurs cruches,

  1. Toutefois les juifs du Maroc paraissent jouir d’une entière liberté religieuse. On ajoute que certaines tribus juives, très-anciennement établies sur les montagnes, y vivent sur le pied d’une parfaite égalité avec les familles berbères.