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vallée du Colorado seraient aujourd’hui sur le même rang que les Indiens Pueblos, si, au lieu de les encourager à la civilisation, on ne les avait pas poursuivis comme des bêtes fauves. Nous en citerons pour exemple la guerre d’extermination des Californiens contre la vaillante tribu des Cauchiles, commencée en 1851, et causée uniquement par la brutalité d’un marchand de bestiaux. Voici en quelle circonstance.

« Au fond des montagnes de Mariposa est un territoire nommé Four Creeks, véritable paradis pour les indigènes. Des sources nombreuses jaillissent de cette chaîne couronnée de neige, et forment des ruisseaux qui serpentent à travers des champs de trèfle et des prairies odorantes, à travers des chênes centenaires et des pins gigantesques. Là s’élevait un arbre sacré, un chêne, le roi de tous les arbres d’alentour ; sous son ombrage les Indiens tenaient leurs conseils, adoraient leur manitou, enterraient leurs guerriers et leurs sages. Toutes les caravanes d’émigrants qui passaient par là avaient toujours respecté ce sanctuaire des Indiens jusqu’au jour où vint à passer un marchand avec son troupeau de bœufs. Les Indiens le reçurent avec bonté, s’offrirent même a lui construire un parc pour ses bestiaux ; mais le bouvier jeta les yeux sur le chêne sacré, qui lui plut, et il résolut d’y dresser son étable. Les Indiens eurent beau protester, il ne voulut rien entendre : il avait résolu d’installer ses bestiaux au milieu du sanctuaire indien, et, dit-il avec un juron, « rien ne pourra m’ébranler dans ma résolution. » Exaspérés de cette violation des tombeaux, les Cauchiles tombèrent sur le vendeur de bestiaux, le massacrèrent lui et ses gens, et se mirent en possession de son troupeau. C’est ainsi que la guerre fut déclarée entre les indigènes et les blancs. Depuis ce temps, beaucoup de victimes sont tombées des deux côtés ; d’autres seront encore sacrifiées avant que les haines ne s’apaisent, et bientôt peut-être on cherchera ou du moins on inventera quelque prétexte pour commencer une guerre semblable d’extermination contre les paisibles habitants du Colorado. »


Les Indiens Mohaves. — Le jeu de l’anneau. — Nourriture des Mohaves. — Leurs habitations. — Passage du Colorado.

Le 26 février, on aperçut les premiers Indiens Mohaves qui venaient faire du commerce. « Chacun d’eux était vêtu peu ou point ; cependant, on ne peut imaginer une troupe plus bariolée que celle qui, conduite par un chef, s’avançait en procession vers notre camp. Ces individus, à la taille herculéenne, étaient, depuis la racine des cheveux jusqu’à la plante des pieds, tatoués en blanc, jaune, bleu et rouge, selon qu’ils s’étaient frottés de chaux ou d’argile colorée. Sous cette couche de peinture, leurs yeux brillaient comme des charbons. La plupart portaient sur le sommet de la tête des plumes de vautour, de pic et de cygne, ce qui les grandissait encore. Quelques-uns avaient pour unique vêtement un manteau fait de peaux de lièvre et de rat ; l’un d’eux se distinguait par son singulier costume : il avait un gilet qui, jeté par nos gens comme hors d’usage, ou peut-être troqué contre un autre objet, était, je ne sais comment, parvenu chez ces sauvages. Quant au reste du corps, il était vêtu… de tatouages. Les femmes avaient toutes le jupon dont nous avons parlé, et qui, sur le devant, chez celles qui sont le plus à leur aise, est fait en laine et non plus en écorce d’arbre. Elles portaient sur la tête des vases en terre, des sacs faits d’écorce, et des corbeilles imperméables, remplies des produits de leur industrie et des fruits de leurs champs, qu’elles déposèrent devant nous en s’agenouillant. »

« En passant dans une plaine formée par les bas-fonds du Colorado, et couverte de bois, d’où s’échappaient des colonnes de fumée annonçant la présence d’êtres humains, nous vîmes une couple d’Indiens venir à nous montés sur de magnifiques étalons ; mais ce qui attira notre attention, c’était moins les deux cavaliers sauvages que les bêtes elles-mêmes, bien nourries et bien soignées, des chevaux modèles en un mot. Pendant tout notre séjour sur le Colorado, nous ne rencontrâmes plus qu’un autre cheval ; les deux que nous avions sous les yeux paraissaient être plutôt des objets sacrés pour la tribu que des animaux utiles ; chacun se plaisait à les engraisser, à les soigner, ce qui expliquait leur apparence de bonne santé. Je voulus leur en acheter un ; mais ils se moquèrent de moi et accablèrent leurs favoris de caresses. Ces chevaux étaient jeunes et paraissaient appartenir à la nation depuis leur naissance. »

Les Mohaves accouraient toujours en foule autour des voyageurs : « Ils nous environnaient par centaines dans leur costume de fête ; car ce n’est que dans les occasions solennelles qu’ils doivent être aussi prodigues de couleurs et tracer sur leurs membres nus des peintures aussi compliquées. Il serait trop long de décrire leurs différents costumes ; quand on observait ces groupes de figures blanches, rouges, bleues et noires, tatouées de lignes, de cercles et d’images bizarres, marchant ou appuyés sur leurs grands arcs, on croyait voir une légion de démons qui allaient commencer une ronde infernale ; mais les rires éclataient de tous côtés et témoignaient au contraire de leur bonne humeur. J’étais occupé à dessiner les figures les plus frappantes ; ils me regardaient tranquillement et même prenaient plaisir à mon travail ; les femmes m’amenaient leurs petits enfants et suivaient attentivement mes doigts sur le papier, veillant à ce que les lignes de couleur qu’elles avaient sur le corps et les tatouages de leurs petits fussent reproduits avec exactitude.

« Parmi les hommes, nous en remarquâmes plusieurs portant des perches légères, de 3 mètres et quelques centimètres de longueur. Nous ne pouvions deviner leur usage, quand nous vîmes des hommes sortir des groupes deux à deux pour se livrer à un jeu dont le sens reste un mystère pour moi, bien que je l’aie observé avec beaucoup d’attention. Les deux joueurs, tenant leur bâton en l’air, se plaçaient l’un à côté de l’autre : l’un d’eux portait en outre à la main un anneau fait de fibres d’écorce, d’environ 0m,10 de diamètre. Abaissant ensuite leur bâton, ils se précipitaient en avant ; tout en courant, celui qui