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LE GRAND-ANDAMAN.

Dans le golfe du Bengale et pour ainsi dire en face de Tenasserim se montre un groupe d’îles, rarement explorées, qui gît à peu de distance de la côte. Les Andamans sont compris entre 10° 32′ de latitude sud et 13° 40′ de latitude nord. L’île la plus considérable, qu’on désigne sous le nom du Grand-Andaman, peut avoir environ 140 milles anglais de longueur. Sa largeur est de 20 milles.

C’est à tort que l’on a considéré cette longue bande de terre comme une seule île ; des canaux fort distincts la divisent en trois sections et en font trois îles différentes. Une montagne d’aspect pittoresque, que les Anglais ont appelée Saddle-Peack et qui n’a pas moins de 2 400 pieds de haut, signale de loin cette terre aux navigateurs. On a la certitude qu’elle est d’origine volcanique et que des volcans y sont encore en état d’ignition, car on possède à Paris des échantillons de lave envoyés récemment par le jeune voyageur auquel nous devons les photographies reproduites dans ce recueil.

L’île qui gît plus au sud et que l’on appelle le Petit-Andaman, n’a guère plus de 28 milles de long sur 17 milles de large. Une absence complète de cours d’eau la rend bien moins importante aux yeux des Anglais que la terre voisine où l’on en rencontre plusieurs.

Comme toutes les autres îles des mers de l’Inde, les îles Andamans sont couvertes d’une végétation luxuriante. On y distingue, entre autres espèces de bois précieux, l’ébène, le Pterocarpus Dahlbergioides ou bois rouge, des bambousiers, et des rotins de diverses espèces donnant une singulière élégance aux forêts qui parent la côte.

Ces bois, néanmoins, ne renferment qu’un petit nombre d’oiseaux à plumage éclatant, parmi lesquels on remarque un ramier d’une beauté remarquable ; mais à l’exception du sanglier et peut-être du cerf, il y a absence pour ainsi dire absolue de quadrupèdes. Ce qui aux yeux des Chinois pouvait rendre les Andamans un groupe précieux pour le commerce, c’est l’abondance de la jolie salangane, qui multiplie son vol gracieux autour des roches dont la rive est couverte, et qui construit dans les cavernes avec une mucosité ces fameux nids d’hirondelles réservés, dans le Céleste-Empire, à la table du riche.

EXPÉDITION ANGLAISE DE 1857.

Il y a tout au plus deux ans, une expédition semi-scientifique, semi-militaire, fut envoyée du Bengale pour explorer les Andamans, si complétement négligés jusqu’alors. La commission, que présidait le docteur F. J. Mouat, savant médecin attaché à l’armée du Bengale, se composait de deux autres membres, et s’était fait accompagner par un de nos jeunes compatriotes, M. Mallitte, qui, en outre de ses connaissances en chimie, possède au plus haut dégré le tact artistique, qui fait de la photographie un si précieux auxiliaire de la science. La commission avait pour but de choisir, dans les îles qu’on allait explorer, un lieu convenable pour y déposer ceux des révoltés auxquels le gouvernement de la compagnie, qui n’avait pas encore cédé ses droits à la reine voulait bien faire grâce.

Le steamer le Pluto, bâtiment à vapeur de 400 tonneaux commandé par le capitaine Baker, avait été désigné pour faire ce voyage d’exploration ; la commission s’embarqua afin de le rejoindre et quitta Calcutta le 23 novembre 1857. Le navire choisi pour ce voyage aventureux était bien armé et d’un tirant d’eau très-faible ; il appartenait à cet ordre de petits bâtiments de guerre qui ont déjà rendu de si bons services en Chine, et que l’on a employés surtout avec tant de succès contre les pirates malais ; mais ce ne fut en réalité que du 20 décembre qu’on put dater le départ définitif de l’expédition, qui avait suivi d’abord les côtes de la Birmanie, et était restée pendant plusieurs jours mouillée à Moulmhein. Dès le 11, à huit heures et demie, elle entrait dans le port Cornwallis, au nord des îles Andamans.

Une première reconnaissance du pays eut lieu sans aucune opposition de la part des indigènes. Partout on rencontrait des forêts vierges, partout se montrait une exubérance de végétation. Le 12, après une nouvelle exploration de la baie, M. Mallitte commença ses opérations difficiles sous ces climats, et elles eurent un plus heureux résultat qu’on n’osait d’abord espérer ; mais bientôt le steamer chauffa et se porta sur un autre point de l’archipel. Pour la première fois, on aperçut des traces récentes du passage des naturels ; quelques-uns parurent, mais, en dépit des signes d’amitié qui leur furent adressés et des cadeaux qu’on leur laissa dans une de leurs embarcations solitaires, ils poussèrent des vociférations belliqueuses lorsqu’ils virent les blancs se rembarquer. Le 14, on changea de position ; l’eau manquait dans ces parages ; les naturels ne se montraient plus. Pendant cinq à six jours, l’expédition fit l’hydrographie de ces parages si peu connus ; on descendit fréquemment à terre, on chassa ; une échauffourée assez vive eut même lieu entre les Andamans et les Européens. Ce ne fut que le 21 qu’on trouva le lieu propre à la fondation du pénitencier, que l’on persistait à vouloir établir. Le 26, les fêtes de Noël avaient été célébrées gaiement : mais, dès le lendemain, on avait prolongé la côte en continuant d’utiles explorations ; on allait doubler l’extrémité de la grande île, et le Pluto se trouvait entre un îlot et la terre, dans un bras de mer qui n’avait guère plus de largeur que la Seine, lorsque les Andamans, armés en guerre, se montrèrent dans leurs canots et se dirigèrent vers le bateau à vapeur. On résolut d’accepter le combat ; il était environ dix heures. Le docteur Mouat montant dans le premier canot se fit suivre du docteur Playfer et du lieutenant Headcote, auxquels s’adjoignit M. O. Mallitte : douze hommes bien armés montaient également l’embarcation. Dans le second canot venait M. Tobgrave, midshipman de la flotte des Indes, le chirurgien du Pluto, et huit autres Européens. Les mouvements des blancs n’échappèrent pas aux naturels. Entassés dans sept pirogues, ils se dirigèrent, en employant la pagaye seulement, de South reef Island vers Interview Island. Les Anglais n’hésitèrent pas, ils cachèrent soigneusement leurs armes, mais ils se dirigèrent du côté des sauvages. On avait fait provision de force bagatelles pour les leur offrir en cadeau, et les