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« Je me trouvais en avant, dit Barth, lorsque j’aperçus, entre les feuilles, une eau transparente dont la brise agitait la surface. C’était la grande rivière du Kotoko.

« Des bateliers apparaissent, nous allons à leur rencontre, ils refusent de nous passer avant d’en avoir reçu l’autorisation. Je suis suspect ; le sultan fait la guerre, je pourrais en son absence renverser le trône, asservir le pays, et le chef du village m’en interdit l’entrée. Je retourne sur mes pas, afin de donner le change aux passeurs ; mais le lendemain matin je me présente au bac de Mélé ; un bateau se détache du bord, et nous voguons sur le Chari, qui, en cet endroit, n’a pas moins de six cents mètres de large et quatre ou cinq de profondeur. Nos chevaux, nos chameaux, nos bœufs nagent à côté de la barque ; nous abordons sur l’autre rive, où nous recevons bon accueil, et où je suis agréablement surpris de la taille et de la figure des femmes ; néanmoins, nous nous empressons de quitter le village, en nous félicitant du succès que nous avons obtenu.

Chef kanembou. — Dessin de Rouargue d’après Barth (troisième volume).

« Nous n’avons pas fait un mille, que nous apercevons un serviteur du chef ; nous prenons à travers champs et passons une rivière à gué. Une ligne de hameau, presque interrompue, borde cette langue de terre féconde ; çà et là des groupes d’indigènes sortent d’une épaisse feuillée, des troupeaux nombreux couvrent la prairie marécageuse, où l’on voit une foule d’oiseaux : le pélican, le marabout immobile, et voûté comme un vieillard, le grand dédégami au plumage azuré, le plotus au cou de serpent, des ibis, des canards de différente espèce, et tant d’autres. Quelles sources de joies inépuisables pour le chasseur ! Toutefois je ne pense qu’à une chose : on m’empêchera d’aller plus loin ! Je ne devrais pas m’arrêter ; mais le soleil est si ardent et l’ombre si fraîche ! Tandis que je me repose, un homme, accompagné de sept autres, me signifie que je ne peux pas continuer mon voyage, qu’il me faut la permission de l’autorité supérieure ; bref, je suis interné à Bougoman.

« Nous nous retrouvons sur le bord du Chari ; en face

    actuellement de deux cent quarante milles du nord au sud, et de cent cinquante de large. On y trouve, seulement dans la partie septentrionale, quelques montagnes détachées, qui séparent les deux bassins du Fittri et du Tchad. Le sol, silico-calcaire, produit du sorgho, du millet, qui forment la principale nourriture des Soudaniens ; du sésame, du poa, dont se nourrissent une grande partie des habitants ; une énorme quantité de riz sauvage ; des haricots, du corchorus olitorius, des melons d’eau, du coton, de l’indigo. On n’y cultive de blé que dans l’intérieur de Maséna, et pour l’usage particulier du sultan. La population de Baghirmi, proprement dit, n’excède pas quinze cent mille âmes. Le tribut est payé, par les musulmans, en grain, en bandes étroites de calicot et en beurre ; par les païens, en esclaves. La lance et une espèce de serpe constituent les seules armes du pays ; pas de flèches, pas de boucliers, à peine quelques armes à feu. — Monarchie entièrement absolue, étiquette sévère ; les Baghirmayés ne peuvent approcher du souverain, appelé banga, qu’en se découvrant l’épaule gauche et en se saupoudrant la tête de poussière ; mais ils jouissent d’une liberté de parole beaucoup plus grande que celle qui est accordée à une foule de citoyens de l’Europe.