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VOYAGE DANS LE ROYAUME D’AVA

(EMPIRE DES BIRMANS)
PAR LE CAPITAINE HENRI YULE,
DU CORPS DU GÉNIE BENGALAIS.
1855.


Départ de Rangoun. — Frontières anglaises et birmanes. — Aspect du fleuve et de ses bords.

Lord Dalhousie, gouverneur général de l’Inde, ayant décidé l’envoi d’une ambassade près de la cour d’Ava, les membres de la mission, à laquelle il voulut bien m’adjoindre en qualité de secrétaire, se réunirent à Rangoun dans le courant de juillet 1855. Cette ville est célèbre par sa belle position commerciale et maritime au débouché de la navigation intérieure du Pégu et de l’Ava, ainsi que par sa grande pagode, un des sanctuaires les plus renommés de l’Indo-Chine.

Le 1er  août, au point du jour, toute l’ambassade, portée sur les bateaux plats le Sutlege et le Panlang, remorqués par le Bentinck et le Nerbudda, quitta cette ville et gagna le bras principal de l’Irawady.

Après avoir traversé les provinces anglaises d’Enzada et de Prome, on nous annonça l’approche d’une députation birmane qui devait nous servir d’escorte.

À quelques heures au nord de Prome, des piliers blancs élevés sur chaque rive du fleuve nous indiquent la ligne frontière des possessions anglaises et birmanes. Les canons des forts saluent notre passage.

Entre le fleuve et la base des chaînes qui bordent son bassin s’étendent des bandes de terrain où se déploie cette richesse de végétation qu’impriment au paysage les bois où les grands arbres se mélangent aux palmiers élancés. Les villages sont assez nombreux, agréables d’aspect ; le plus souvent la masse sombre d’un monastère domine de ses triples étages les cabanes et les arbres ; puis en arrière, pour dernier plan, se dressent des collines qui, couvertes d’un gazon sec, sont couronnées de pagodes auxquelles conduisent des sentiers tortueux.

Bateau à voile sur l’Irawady.

Une course au sommet d’une des premières collines des terres d’Ava nous procure une vue magnifique de la contrée et du cours du fleuve. Dans le lointain nous n’apercevons pas de villages, mais des routes se dirigeant vers l’intérieur, et de temps à autre apparaissent quelques-uns de ces chariots indigènes (neat) qu’entraînent de leur trot rapide des bœufs rouges, vigoureux et en parfait état.

Ces animaux, quoique beaucoup plus petits que les bœufs de l’Inde centrale et du Deccan, sont beaucoup plus forts, plus grands que les bœufs du Bengale ; je n’en ai peut-être jamais vu en meilleure condition. Ces bœufs sont loin de se livrer à des excès de travail. La principale raison de leur parfait état tient probablement à ce que, les indigènes ne consommant pas de lait, les veaux ne sont pas privés de leur aliment naturel.

Les terres qui avoisinent la frontière sont excessivement ondulées, et les fonds seuls sont cultivés. Le nom de charrue ne peut s’appliquer à l’instrument qu’on emploie dans les cultures sèches ; c’est plutôt une sorte de râteau avec trois larges dents d’acacia. Près d’Ava, surtout dans les rizières, les paysans se servent de charrues qui rappellent un peu plus les charrues indoues.

Les terres, bien qu’imparlaitement labourées, étaient proprement tenues et leurs sillons plus réguliers que dans la plupart de nos champs de l’Inde. Ce mode de culture n’en excita pas moins le mépris d’un robuste Hindoustan du Doab, zémindar dans notre cavalerie irrégulière. « C’est à Dieu et non pas à leur travail qu’ils doivent leur nourriture, » disait-il. Les paysans se plaignaient beaucoup de la sécheresse ; ils n’avaient pas récolté de riz depuis plusieurs années, et n’espéraient pas même une récolte cette année encore.

Nous trouvâmes enfin à Menh’la, chef-lieu de district,