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la députation annoncée depuis plusieurs jours. Elle se composait du Woondouk[1] Moung Mhon ; du gouverneur de Tseen-goo, petit vieillard original ; de Makertich, gouverneur du district de Maloon. Ce dernier, d’origine arménienne, s’habille comme les Birmans ; son teint est peut-être un peu plus foncé que celui des indigènes, dont il se distingue par des traits plus aquilins. Il y avait en outre des scribes et des officiers.

La députation était escortée de cinq ou six canots de guerre ; c’était la première fois que nous rencontrions ces immenses embarcations ; l’avant en est très-bas et très-fin ; l’arrière, très-élevé, se recourbe au-dessus de l’eau ; les rameurs, au nombre de quarante à soixante, sont deux sur chaque banc : tout l’extérieur du canot est doré, et toutes les rames le sont aussi. Les matelots, vigoureux et robustes, portaient tous leur conique chapeau de bambou ; dans quelques canots ils étaient vêtus de mauvaises jaquettes noires d’uniforme. Des bandes de mousseline et des filets couverts de clinquant ornent les poupes élevées des canots de guerre, où flotte avec grâce une grande bannière blanche bordée d’argent, sur laquelle s’étale le blason de l’empire, un paon grossièrement dessiné. Souvent, à côté de l’oiseau oriental, une carafe européenne sert de pomme au mât de bambou auquel s’attache le pavillon (c’est un ornement très en faveur chez les Birmans, et parfois même une modeste bouteille à eau de Seltz domine la pointe extrême des pagodes. Un court mâtereau dressé à l’extrémité de la poupe des canots de guerre porte le htee[2], cet emblème royal et sacré. Ce n’est pas à l’arrière, comme en Europe, mais à l’avant du canot, sur une espèce de petite plate-forme, que se place le personnage le plus important du bord.

Canot de parade.

Nous débarquâmes et nous nous rendîmes à la résidence de Makertich. C’est une élégante construction en bambou, élevée sur piliers et entourée d’une palissade de même bois, selon la mode du pays. Une chambre tout à jour d’un côté, garnie de tapis indiens, servait de pièce de réception. Au fond de la salle, on voyait rangés sur un râtelier les fusils de la garde du gouverneur, qui habite, dans un coin de la cour, un petit corps de bâtiment, d’où les femmes regardaient curieusement les Kalàs (étrangers) ; les communs et les corps de garde étaient appuyés sur la clôture elle-même.

Dans la soirée, en compagnie de Makertich, nous allâmes faire un tour dans la ville, qui est toute neuve, et ne date que de l’entrée en fonction de ce gouverneur ; elle n’a que six mois d’existence. C’est certainement la ville la plus propre et d’aspect le plus prospère que nous ayons rencontrée sur le fleuve depuis notre départ de Rangoun : une longue voie perpendiculaire à la rivière, et que viennent croiser trois autres rues, compose cette jeune cité. Les maisons ne sont pas situées au bord de la rivière ; les Birmans négligent presque universellement les avantages d’une telle position ; une large zone couverte de grands arbres s’étend toujours entre l’eau et leurs habitations ; des simul (l’arbre à coton des Anglo-Hindous), des tamarins, de nombreuses variétés de figuiers forment un ombrage impénétrable aux rayons du soleil. Les rues sont larges, bien entretenues, bien drainées. Un groupe de monastères et de pagodes entouré d’un bosquet de tamarins, de palmiers et de talipots, s’élève sur le bord du fleuve, et nous remarquons dans plusieurs de ces édifices religieux l’absence de la forme conique ou mieux de cette forme en poire qui est le modèle stéréotypé de toutes les pagodes du Pégu.

Le lendemain 13 août nous nous remîmes en route, après une visite matinale de notre escorte, ennuyeux cérémonial qu’il fallut subir pendant tout le voyage. Le woondouk et sa suite étaient dans deux barges remorquées par les canots de guerre ; ces barges étaient peintes tout en blanc, couleur royale ; les parasols d’or des dignitaires se dressaient aux coins de la cabine, devant laquelle était une verandah tendue en drap grossièrement brodé.

Bateau de commerce.

Les bateaux, nombreux à Menh’ta, offraient quelques

  1. Woondouk, ministre de second ordre. Dans le Hlwot-dau, grand conseil de la couronne, il y a quatre won-gyi, assistés chacun d’un woondouk. Woon, gouverneur ou ministre ; ce mot signifie littéralement fardeau. Woon-gyi, grand Woon ; woondouk, soutien du woon.
  2. Le htee est l’ornement en fer doré qui couronne le dôme de toutes les pagodes.