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parallèles du mur d’enceinte et de la palissade, de manière à former, à un moment donné, du couloir qui se trouve entre deux de ces portes, une cage de vingt pieds de long qui se ferme avec rapidité. Un escalier conduit au haut du mur, qui paraît être la place favorite des spectateurs de tout rang ; c’est là que des places avaient été préparées pour les personnes de l’ambassade.

Une fois arrivés, nous vîmes un groupe d’environ deux douzaines d’éléphants femelles, les unes montées par leurs cornacs, les autres libres, réunies en une masse compacte dans la plaine, à quatre cents mètres environ de l’enclos, et gardant avec soin au centre de leur troupe deux éléphants mâles sauvages qu’elles avaient attirés. Ces femelles paraissaient fort bien comprendre leur rôle, et poussaient graduellement leurs victimes du côté de l’arène. Quand elles furent arrivées à l’entrée, une femelle avec son mahout (cornac) passa dans l’intérieur de l’enclos, suivie peu après par le plus grand des deux mâles. On ferma l’entrée et on dirigea le reste de la troupe vers une autre porte. Le nouveau captif était adulte, mais paraissait maigre et faible, suite naturelle d’une abstinence forcée. Il courut autour des palissades pour y chercher une issue ; puis paraissant reconnaître le passage qui s’était fermé derrière lui, il s’élança de toutes ses forces contre ses poutres qui servaient de portes et, en s’agenouillant, il s’efforça de les arracher de leurs gonds. Les coups et les cris des gens qui se tenaient derrière la palissade, aussi bien que les aiguillons dont le perçaient ceux qui s’introduisaient entre les poutres, lui firent lâcher prise. Se retournant pour leur donner la chasse, il se précipitait la tête la première contre les poteaux dont les intervalles permettaient à ses persécuteurs de s’esquiver, et, de son choc puissant, ébranlait toute la construction, à la grande joie des spectateurs, mais non sans dommage pour lui-même. Après qu’on eut ainsi longtemps harcelé la pauvre bête pour abattre ses forces et son courage, et dès qu’il eut trahi son épuisement, un des principaux mahouts l’excita à le poursuivre et l’entraîna dans le couloir que formait le passage d’entrée. Les portes se fermèrent aussitôt, l’homme s’échappa au travers des poteaux et l’éléphant se trouva dans une cage qui ne lui permettait pas de se retourner. Alors on commença à lui attacher les jambes de derrière et à lui mettre des liens autour du cou. Afin de l’empêcher de s’en débarrasser, on lui jeta autour de l’oreille un nœud coulant, fait d’une corde de cuir, et dont l’extrémité retombait du côté opposé du cou. Toutes les fois qu’il essayait de saisir le collier avec sa trompe, le premier obstacle qu’il rencontrait était cette corde ; en tirant dessus il se blessait, et son attention distraite permettait aux mahouts de continuer à le charger d’entraves. Pendant cette opération, le malheureux éléphant se ruait avec une vaine fureur sur les poteaux qui l’entouraient, les déchirant et les faisant voler en éclats avec ses défenses, labourant la terre et rugissant avec rage.

On lui ajustait un second collier et on le fixait fort et ferme, tandis qu’il était couché, haletant de fatigue : tout à coup il se redressa sur son train de derrière et retomba sur le flanc… Il était mort !

On employa une autre méthode pour réduire le second éléphant, animal de moindre taille. À un signal donné, il fut abandonné par les femelles qui l’entouraient, et neuf ou dix mâles lui donnèrent la chasse, montés par des mahouts armés de lazzos en cuir. On parvint à lui en lier un à une de ses jambes de derrière, et on en fixa solidement les extrémités à un pieu fiché en terre. Il fut ainsi réduit au parcours d’un cercle d’environ quarante yards (trente mètres) de rayon. Les vieux éléphants commencèrent à l’assaillir, le chargeant à coups de trompe, le poussant et se le renvoyant jusqu’à ce que la fatigue commençât à le gagner. Deux éléphants l’entourèrent alors, leurs mahouts lui ajustèrent des liens autour du cou et le menèrent sous un abri où il fut attaché à des piquets pour y rester jusqu’à ce que le régime de la ration congrue lui fît comprendre la nécessité de l’obéissance.

Quelques jours plus tard, on nous amena, à la résidence, deux éléphants danseurs qui nous divertirent grandement. Un d’eux, jeune sujet de six pieds de haut, n’avait qu’une instruction incomplète ; son art consistait à lever successivement ses jambes, au commandement de son mahout, et à marcher sur ses genoux, ou pour mieux dire sur les paturons de ses jambes de devant. À l’ordre qu’on lui donna de marcher comme les dames d’honneur du palais, il s’avança vers nous avec ses seules jambes de devant, traînant derrière lui celles de derrière (p. 284).

Le plus âgé, un vieux mâle, était plus versé dans son art. Son mahout lui hurlait à l’oreille des ordres auxquels l’éléphant répondait par un grognement d’assentiment d’un effet assez comique. Son pas le plus brillant consistait à lever une patte et à lui faire décrire un cercle avant de la remettre à terre. Les efforts des mahouts n’étaient pas ce qu’il y avait de moins divertissant ; leurs danses, leurs cris, leurs encouragements, leurs applaudissements contrastaient plaisamment avec la maladresse de leur élève. À la fin il commença à remuer alternativement ses quatre pattes et à les jeter tantôt à droite, tantôt à gauche ; la gravité de sa tête et de ses yeux, l’étrangeté de ses lourds mouvements complétaient le spectacle, qui eut un grand succès de rire parmi tous les assistants, Anglais, Bengalais et Birmans.


Excursions autour d’Amarapoura.

Pendant que le major Phayre, avec une patience ultra-diplomatique, et dans le désir d’atteindre enfin le but réel de sa mission, la conclusion d’un traité d’alliance et de commerce, se pliait complaisamment aux excentricités de la cuisine des Woongyis, et, ce qui était bien autrement méritoire, aux incessants examens métaphysico-religieux que lui faisait subir le roi, j’exécutai plusieurs excursions autour de la capitale, en compagnie de notre géologue, le docteur Oldman, que les Birmans qualifiaient du titre pompeux de professeur des roches. La première, dirigée au nord, nous conduisit successivement à Mengoun, sur la rive droite du fleuve, à Madeya, localité importante de la rive gauche, aux carrières de marbre blanc de Tsengo-myo, puis aux cavernes ou