Page:Le Tour du monde - 02.djvu/339

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cou, et dont l’usage est vraiment très-original. Il est rare que ces riverains du lac fument, prisent ou chiquent à l’instar de tout le monde. Chacun d’eux porte une gourde ou un pot minuscule de terre noire, qui renferme du tabac en poudre. Au moment d’en user, le priseur met de l’eau dans son petit pot, l’exprime du tabac qui s’en imprègne, verse le liquide dans sa main et le renifle ; c’est alors que la pince devient indispensable pour serrer les narines ; autrement on les boucherait avec les doigts. Il faut beaucoup de pratique pour parler d’une manière intelligible avec cette espèce de drogue, que l’on garde pendant quelques minutes.

« Presque amphibies, ces habitants des bords du lac sont parfaits nageurs, pêcheurs habiles, et vigoureux ichthyophages. Il faut les voir à l’air frais du matin, raser l’onde, comme des oiseaux d’eau qui folâtrent, se tenir debout dans leur étroite pirogue, darder leur esquif dans tous les sens, avancer, reculer, tourner, chavirer, disparaître, et se retrouver en équilibre dans leur canot avec une promptitude miraculeuse.

« Pour la pêche, ils ont une grande variété de filets, appropriés à l’espèce et à la grosseur du poisson qu’ils désirent ; le crates, particulièrement cité dans un ancien périple, et toujours en usage sur la côte de Zanguebar, se retrouve chez ces lagoniens. Ils emploient la nasse avec succès, mais ils ne paraissent pas narcotiser le poisson comme on le fait dans l’Ouzaramo, et près de la côte, où l’on emploie pour cet objet le suc de l’asclépias et de l’euphorbe.

Le capitaine Burton sur le lac Tanganyika. — D’après lui-même.

« Les Ouajiji passent pour les plus intraitables des habitants de cette région ; à l’exemple de leurs chefs, ils sont d’une insolence, d’une cupidité révoltante ; ils exigent un salaire pour le moindre service, voire pour vous indiquer le chemin ; et vous raillant à votre barbe, ils vous singent avec une ironie sanglante. Rien ne se fait parmi eux sans une querelle préliminaire ; aussi prompts à frapper qu’à répondre, ils se battent jusque dans leurs canots. Ils n’hésiteront pas à donner un coup de dague ou de lance à un voyageur, à leur hôte même, et n’y regarderont à deux fois, pour frapper un étranger, que si l’effusion du sang peut allumer la guerre.

« Ils ont néanmoins un curieux cérémonial. Dès que le chef apparaît, il bat des mains, et les applaudissements éclatent parmi tous ceux qui l’entourent. Les femmes se font mutuellement la révérence, et plient le genou jusqu’à terre. Lorsque deux hommes se rencontrent, ils se saisissent par les bras, se les frottent simultanément l’un à l’autre en répétant à diverses reprises : « Es-tu bien ? es-tu bien ? » Les mains descendent alors sur l’avant-bras, et les salueurs de s’écrier : « Comment vas-tu ? comment vas-tu ? » Enfin les paumes des mains se rejoignent et se frappent plusieurs fois, ce qui est une marque de respect commune à ces tribus centrales. Les enfants ont les manières et la physionomie peu attrayantes de leurs auteurs ; ces affreux bambins dédaignent toute civilité, et, passant leur vie en dispute, ils égratignent et mordent comme des chats sauvages. Au demeurant, c’est une race peu affectueuse, chez qui les relations de famille me paraissent assez froides ; la seule marque de tendresse que j’ai observée entre père et fils, est de se gratter et de se pincer mutuellement, sans doute à cause de cette démangeaison pandémique dont j’ai parlé plus haut ; comme chez les singes, toutes les fois que les poings se reposent, les ongles s’exercent. Néanmoins, en un jour de tempête, lorsqu’il y a danger de mort, le Mjiji rompt le silence de ses compagnons, qui songent tous à leur foyer, et s’écrie : « Oh ! ma femme ! »

« En aucun lieu du monde on ne voit autant d’individus des deux sexes parcourir les villages en chancelant et en divaguant d’une langue épaisse ; quand ils ne sont pas ivres, c’est qu’ils n’ont rien à boire. À l’ivresse produite par le vin de palme, qui est leur boisson favorite, se joignent les effet du chanvre, dont l’usage est universel, même à bord des pirogues ; et la toux, les cris convulsifs qui s’ensuivent, rapprochent beaucoup plus ces fumeurs avinés de la bête que de l’homme.

« Malgré l’extension que le commerce a prise chez eux depuis quinze ou vingt ans, les Ouajiji n’ont fait aucun progrès dans l’art des échanges : ils ignorent les lois les plus simples de la vente et de l’achat, et le crédit est pour eux lettre close. Ils ne marchandent que ce qui frappe leurs regards, et en fixent le prix, non suivant la valeur de l’objet, mais d’après le besoin ou le désir qu’ils en éprouvent. Outre l’ivoire, les esclaves, les cotonnades, les jupes d’écorce et l’huile de palme, on trouve sur leurs marchés des faucilles de la même forme que les nôtres, de petites clochettes de parure, des bracelets » des houes