Page:Le Tour du monde - 02.djvu/412

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tout à coup un bloc d’un mètre cube environ vint tomber comme une bombe à côté de lui, lançant dans toutes les directions une mitraille d’éclats ; heureusement que ni lui ni son guide ne furent atteints, et le repas, commencé sous de si fâcheux auspices, ne fut pas autrement troublé. Arrivé au sommet de l’escarpement, on se trouve sur un vaste plateau de neige d’un parcours facile, au milieu duquel s’élèvent les deux plus hautes sommités du Pelvoux. De ces deux cimes, également accessibles, on jouit d’une vue magnifique. On voit s’ouvrir à ses pieds la verdoyante Vallouise, et, plus loin, l’aride vallée de la Durance ; à l’ouest, la Barre des Escrins lève sa tête noire au-dessus des glaciers de l’Encula, de la Tempe et du Vallon ; au delà de ce premier cercle de glaces et de neiges, toutes les Alpes du Dauphiné forment à l’horizon des cercles concentriques de pics et de dômes ; au nord, le mont Blanc écrase toutes les autres cimes de sa masse énorme ; à l’est, le mont Viso se fait remarquer par sa double pyramide élancée. M. Durand, le premier touriste qui ait escaladé le mont Pelvoux, croit avoir aussi aperçu la Méditerranée ; mais M. Puiseux n’a pu la distinguer, et les guides des Claux disent n’avoir jamais vu du côté du sud d’autre mer que celle des brouillards ou des brumes reposant sur les plaines de Provence.

Le Mont-Aurouze, vu du col de Barbey-Loubet. — Dessin de Français d’après M. A. Muston.

Depuis 1828, année de la première ascension, jusqu’à nos jours, le mont Pelvoux n’a encore été gravi que par ces touristes français ; presque tous les Anglais qui ont pénétré dans la Vallouise, avaient pour unique but de faire un pèlerinage à la Balme-Chapelu, grotte située au pied du mont, dans la combe de Capensure. Cette excavation, dont la voûte de granit, en partie effondrée, peut encore abriter deux cents personnes, a longtemps servi de forteresse aux Vaudois persécutés. Inaccessible de toutes parts, si ce n’est du côté du torrent dont la sépare une pente escarpée, elle offrait une retraite sûre, et des tas de pierres que l’on voit près de l’entrée prouvent que les Vaudois étaient disposés à se défendre. Les pauvres gens réfugiés dans cette grotte consentaient à vivre comme des ours dans la région des orages ; éloignés de leur patrie, privés de tout commerce avec leurs semblables, ils n’avaient d’autres ressources que les maigres récoltes épargnées par le terrible hiver de la Combe ; mais au moins pouvaient-ils lire en paix leur Bible et prier leur Dieu dans leur propre langue, sans crainte d’être décapités ou écorchés vifs. Mais en une fatale nuit d’orage, ils furent tout à coup surpris par une force considérable de soldats. Un petit nombre d’entre eux seulement put échapper au massacre et s’enfuir à travers les glaciers, dans le Val-Godemar, et de là dans la vallée de Freyssinières. Les montagnards de la Vallouise se racontent encore l’un à l’autre l’histoire de ces malheureux étrangers, peu à peu transformée en légende ; mais ils