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de se pendre. Les ouvriers les plus utiles étaient ceux qui venaient de Carthagène, mais on ne les obtenait qu’à très-grand prix.

« La ligne entière traverse des forêts et des taillis où l’on peut admirer l’épaisse végétation des tropiques, et elle présente par là beaucoup d’intérêt. Mais il n’y a rien de remarquable dans les paysages, pour ceux au moins qui ont déjà eu l’occasion de voir des forêts des tropiques. La végétation est si rapide, que les bandes de terrain adjacentes à la ligne, et qui ont environ vingt mètres de largeur de chaque côté, doivent être défrichées tous les six mois ; abandonnées pendant un an, elles se couvriraient d’épais taillis de douze pieds de hauteur. Tous les quatre milles environ, on rencontre de grandes maisons en bois, maisons coquettes, bâties avec beaucoup de goût, où demeure un surveillant avec un certain nombre d’ouvriers. Ces hommes reçoivent leurs provisions et tout ce qui leur est nécessaire de la compagnie ; car il n’y a ici ni villages où des ouvriers pussent vivre, ni boutiques ou ils pussent faire leurs achats, ni main d’œuvre disponible à volonté.

« Panama est sans aucun doute devenue une ville importante pour les Anglais et les Américains, et le nom en est aujourd’hui familier à nos oreilles. C’est pourtant un lieu dont la gloire est déchue. C’était jadis une grande ville espagnole, bien fortifiée, avec trente mille habitants environ. Maintenant les fortifications ont à peu près disparu, les églises tombent en ruines, comme les vieilles maisons, et l’ancienne population espagnole s’est évanouie. Quoi qu’il en soit, c’est encore la première ville d’un État, et le congrès y siége. Il y a un gouverneur et des juges ; mais sans les passagers de l’isthme, il ne resterait bientôt plus rien de Panama. »


Costa Rica : San José ; le Mont-Blanco. — Le Serapiqui. — Greytown.

À Panama, M. Trollope s’embarqua sur le vaisseau de guerre anglais Vixen, qui le conduisit à Punta Arenas, sur la côte de Costa Rica ; de là, il fit un petit voyage par terre jusqu’à San José, la capitale de cet État, avec le capitaine du Vixen.

« Nous partîmes le premier jour sur un chemin de fer, car il y a un tramway qui pénètre jusqu’à douze milles dans la forêt. Nous étions traînés sur ce chemin de fer par une excellente mule. On nous avait recommandé de passer la première nuit à un endroit nommé Esparza, où il y a une décente auberge. Mais avant de quitter Punta Arenas, nous apprîmes que don Juan Raphaël Mora, le président de la république, venait par le même chemin, avec une nombreuse retenue, pour inaugurer les premiers travaux du canal projeté par un Français, M. Belly. Il devait sur sa route rencontrer son confrère, président de la république voisine, le Nicaragua, à San Juan del Sur, et c’est à quelque distance de là que devait commencer ce grand travail. Il se proposait de passer la nuit avec sa troupe à Esparza. Nous nous décidâmes en conséquence à pousser plus loin, et en effet nous y trouvâmes don Juan. — Il y était arrivé quelques heures avant nous, et sa suite remplissait le petit hôtel. »

Les jours suivants, les voyageurs s”élevèrent peu à peu au sommet du plateau élevé ou se trouve la capitale San José. C’est une ville à l’aspect assez ordinaire, avec quelques monuments, une place, des casernes, etc. : elle est située à quatre mille cinq cents pieds au-dessus du niveau de la mer ; aussi, bien que sous les tropiques, et à dix degrés seulement de la ligne, elle jouit d’un bon climat, et la chaleur n’y est jamais excessive.

« Aucun climat ne peut être plus favorable que celui de Costa Rica. La canne à sucre y vient à maturité beaucoup plus vite qu’à Demerara ou à Cuba. Le sol, sans engrais, y fournit deux récoltes par an. Le café y vient très-bien : le sol est volcanique et d’une indescriptible fertilité ; et on a tous ces biens sans cette intensité de chaleur qui dans toutes ces régions méridionales accompagne généralement la fertilité tropicale, et y rend le travail mortel pour les blancs. Je ne parle, bien entendu, que des parties centrales, qui sont à quelques milliers de pieds au-dessus du niveau de la mer. Le long des côtes de l’Atlantique comme du Pacifique, la chaleur est aussi grande et le climat aussi malsain que dans la Nouvelle-Grenade et les Indes occidentales. Il serait difficile de trouver une ville plus mal partagée sous ce rapport que Punta Arenas. Mais, bien que le plateau de San José et l’intérieur de la contrée en général soient si favorablement situés, je ne puis pas dire que la nation soit prospère. Ceux qui réussissent le mieux ici, comme commerçants et comme agriculteurs, sont les Allemands. Presque tous ceux qui font des affaires sur une échelle un peu grande sont des étrangers, c’est-à-dire ne descendent pas des Espagnols. Il y a ici des Anglais, des Américains, des Français ; mais, je crois que les Allemands sont le mieux mariés au pays. Les meilleures terres à café sont entre les mains des étrangers, ainsi que les plantations de cannes et les scieries pour la préparation des bois : leur tâche est difficile ; la main-d’œuvre est extrêmement rare et chère. Le peuple n’est pas paresseux comme sont les nègres, il aime l’argent et l’épargne, mais les habitants sont peu nombreux, ils possèdent tous de la terre, et sont à l’aise. Aux environs de San-José, une journée d’homme vaut cinq francs, encore ne peut-on toujours l’obtenir à ce prix.

« Les habitants de Costa Rica sont naturellement d’origine espagnole, mais ici, comme dans toutes les contrées voisines, le sang est très-mêlé ; le sang espagnol pur est, je pense, une rare exception. Cela se voit mieux dans la physionomie que dans la couleur, et se remarque surtout dans les cheveux. Il y a un mélange de trois races, de l’Espagnol, de l’Indien aborigène et du nègre ; mais les traces de ce dernier sont relativement plus faibles. Les nègres, hommes ou femmes, tout à fait noirs, d’origine ou de famille purement africaine, sont très-rares.

« Aux environs de San José, il y a une montagne volcanique dont le nom est Irazu. On m’informa qu’elle fumait encore, bien qu’évidemment elle ne donnât point de lave. La contrée entière est remplie de pareilles monta-