Page:Le Tour du monde - 02.djvu/63

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gnes. Il y en a une, le Mont-Blanco, dont le sommet n’a jamais été atteint ; telle est du moins la rumeur dans Costa Rica ; très-distante, enveloppée d’autres montagnes, qu’on ne peut atteindre qu’en traversant d’épaisses forêts vierges ; elle lance encore, et cela constamment, de la lave enflammée.

« On a fait différentes excursions pour monter sur ce Mont-Blanco, mais jusqu’ici en vain. Il n’y a pas longtemps, l’ascension fut tentée par un baron français, mais lui et son guide restèrent vingt jours dans les forêts et s’en revinrent, faute de provisions.

« Vous devriez faire l’ascension du Mont-Blanco, me dit sir William Ouseley (sir Wiliam Ouseley était en ce moment à San José, occupé à négocier un traité avec le gouvernement de Costa Rica), vous êtes à l’aise, n’ayant rien à faire. C’est juste ce qui vous convient.

« C’est ainsi que sir William Ouseley faisait la satire de mes occupations habituelles ; je résolus pourtant de me contenter de l’Irazu. »

Nous ne suivrons pas notre voyageur sur le sommet de cette montagne qui s’élève, dit-il, à onze mille cinq cents pieds au-dessus de la mer : nous n’y apprendrions rien autre que le récit de ses tribulations ; les volcans ne sont décidément pas son fait, et sir William Ouseley se trompait.

De San José, M. Trollope se rendit à San Juan, communément appelé aujourd’hui Greytown ; le voyage n’est pas très-facile : il faut franchir le faîte de la chaîne qui sépare les eaux du Pacifique de celles de l’Atlantique, passer la nuit dans de misérables ranchos, à sept ou huit mille pieds au-dessus du niveau de la mer ; il y a une route jusqu’à un endroit nommé Desenganos, où les eaux des deux océans se divisent ; mais sur le versant qui descend vers l’Atlantique, les mulets ne descendent plus qu’avec une extrême difficulté, dans des sentiers à peine praticables. Qui croirait que, faute d’une route, tout le café qu’on récolte sur les plateaux élevés de l’intérieur ne peut se rendre dans les ports de l’Atlantique, et va faire le tour du cap Horn, avant d’être dirigé sur l’Europe. En descendant du pays élevé, on arrive à la rivière Sérapiqui que les voyageurs descendent en canot, ainsi que la rivière San Juan ou le Sérapiqui se jette.

« Le Sérapiqui est une belle rivière, très-rapide, mais pas assez pour être dangereuse. Il n’y a pas une maison, pas même une hutte sur ses bords, et la forêt descend jusque dans l’eau. Dans les grands arbres sont suspendus les singes bavards, qui agitent leurs vilaines têtes devant notre bateau ou poussent des cris de colère en voyant leur territoire envahi. Les perroquets volent au-dessus de nos têtes en faisant leur musique particulière. À trois heures, nous arrivions dans le San Juan. C’est la rivière par où le grand lac de Nicaragua se déverse dans la mer, le chemin suivi par toutes les compagnies de transit qui se sont établies d’un océan à l’autre dans le Nicaragua ; les flibustiers ont tant fait que tout transit est banni de ses eaux : c’est aussi la ligne que M. Belly a choisie pour son canal. Elle a vu de terribles scènes de meurtre et de cruauté. Aujourd’hui, la rivière roule paisiblement, dans son lit large et peu profond, entre les ranchos et les dépôts de quelques sauvages colons qui sont venus chercher un asile sur ces bancs tristes, solitaires, et brûlés du soleil. »

« Le lendemain matin, nous atteignîmes Greytown, en suivant la rivière San Juan. Il y a un autre passage qui conduit à la mer par le Colorado, une branche qui, sortie du San Juan, rejoint l’Océan par un plus court chemin. On a songé à choisir cette ligne pour le canal projeté, de préférence au San Juan. Je crois ces deux lignes également impraticables. Le San Juan lui-même est si peu profond que nous touchâmes souvent le fond, même avec notre léger canot.

« Et que dirai-je de Greytown ? nous y avons un consul général, dont le devoir est de tenir sous sa protection spéciale le roi de Mosquitie, comme certaines personnes se plaisent à appeler cette côte, ou de la côte des Mosquitos, comme on la nomme plus généralement. Bluefields, à quelque distance sur la côte, est la résidence préférée de ce tyran nègre ; mais Greytown est la capitale de son territoire.

« De tous les endroits ou j’ai jamais mis le pied, Greytown est, je crois, le plus misérable. C’est une petite ville de deux mille habitants, à peu près, placée à l’embouchure du San Juan, et de toutes parts entourée d’eau et de forêts impraticables. Une promenade d’un mille est impossible dans toute autre direction que la plage de la mer ; mais ceci n’a que peu d’importance, parce que la chaleur continuelle fait qu’on ne songe point à prendre de l’exercice. Quelques Américains vivent ici, adorant le tout-puissant dollar comme font les Américains, et ouvrant des boutiques d’eau-de-vie et des comptoirs ; on y trouve aussi quelques Anglais et quelques Allemands. En fait de femmes, je ne vis que quelques négresses, et une femme blanche, ou plutôt rouge, dans une boutique de rhum. La population indigène se compose d’Indiens-Mosquitos, quoiqu’il paraisse qu’on leur permette à peine de vivre à Greytown. On les voit se promenant dans leurs canots, vendant quelques œufs et des poules, attrapant des tortues, ou assez fréquemment en train de s’enivrer. »

De l’isthme américain, M. Trollope se rendit aux Bermudes, archipel composé de trois cent soixante-cinq îlots, encadrés par un dangereux récif sous-marin dans un espace de vingt milles de longueur et de trois milles de largeur. La gravure que nous donnons à la page suivante représente le principal mouillage de cette possession britannique.

Aug. Laugel.