C’est à trois lieues de Sandviken que commence la côte du Paradis, « Paradise Bakke », ainsi nommée de l’admirable vue dont on jouit à son sommet ; de là l’œil embrasse à la fois le fjord et le lac Tiri unis par la vallée de Drammen, riche, cultivée, animée par des scieries, par des fermes opulentes.
Au fond est la ville de Drammen. Après une descente d’une demi-heure, on en touche les faubourgs. Drammen, bâtie sur les deux rives d’un large cours d’eau, est un des entrepôts de bois les plus importants de la Norvége. La ville consiste en deux longues rues parallèles, bordées pendant trois kilomètres de maisons neuves en bois peint et découpé ; le feu a passé par là, et en Norvége c’est un bienfait. Presque toutes les villes de Norvége payent à l’élément destructeur un tribut périodique. Tout brûle, mais tout est assuré, immeuble et mobilier : les compagnies anglaises payent les victimes en argent comptant, denrée rare en Norvége. Chacun rebâtit sa demeure au goût du jour, et Troie renaît de ses cendres, plus florissante que jamais. Le fait est que Drammen a un aspect fort opulent. Bourse, quais, maisons aussi vernies que les chalets d’Auteuil, vaisseaux au port, villas dans les faubourgs, rien n’y manque… que de quoi manger ; c’est ce qui arrive le plus souvent en Norvége, où l’œil est toujours satisfait avant l’estomac. À l’auberge, péniblement trouvée après une heure de recherche, une jeune et insolente « pige » nous refuse le pain et le sel sous prétexte que l’heure du dîner est passée.
À une raison aussi péremptoire, il n’y a rien à répondre. Le Norvégien, être flegmatique et intimement convaincu de sa propre sagesse, ne connaît point d’objection.