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De Drammen à Konsgsberg. — Le cheval norvégien. — Kongsberg et ses gisements métallifères.

Nous partons pour des lieux plus hospitaliers ; d’immenses chantiers de planches et de poutres bordent la route. Il semble qu’il y a là de quoi approvisionner des villes entières. : le bois s’élève en énormes monceaux ; sans cesse de nouvelles poutres arrivent le long du fleuve, sont reconnues, rangées, empilées ou découpées en planches, vendues, embarquées à bord de gros clippers ad hoc, et c’est ainsi que se construisent les chemins de fer d’Espagne et les villas d’Alexandrie et du Caire.

Au bout d’une lieue, la vallée se rétrécit, et la route court plate et poudreuse jusqu’à Haugsund, gros bourg qui est comme la succursale de Drammen. C’est là qu’aboutissent en hiver les traînages de bois, les charrois de minerai, qui viennent des montagnes ; en été, il y a moins d’animation.

Haugsund, comme Drammen, est séparé en deux parties qu’un pont de pierre unit. Un gœstgiver plus hospitalier que le premier, nous offre tout ce qu’il possède, mais, comme dans les posadas de la Manche, ce tout se réduit à peu de chose : une queue de saumon.

Le saumon est dans le Nord le pain du peuple, qui le mange de toutes les façons : cru, cuit, fumé, salé ; c’est la grande ressource du voyageur, tant qu’il reste à quelques lieues de la mer.

À Haugsund apparaissent les premiers costumes télemarkiens, les corsages courts, les hautes jupes et les innombrables bijoux d’argent qui sont le luxe de ces populations encore un peu barbares.

D’Haugsund à Kongsberg, il n’y a qu’un relais, mais il est long : deux milles et demi, près de douze lieues de France. On frémit en pensant aux malheureux quadrupèdes qui font au grand trot ces distances énormes. Le cheval norvégien est de la hauteur d’un âne, il est presque toujours jaunâtre, excepté la queue et la crinière qui sont noires ; une raie de la même couleur règne le long du dos ; l’habitude locale est de tailler la crinière en brosse en ne laissant qu’une grosse touffe qui passe entre les oreilles et retombe jusqu’aux yeux. Cette crinière hérissée, cette petite tête, ce regard intelligent font penser aux chevaux naïvement dessinés des anciens bas reliefs.

Si le cheval norvégien n’est pas d’une apparence satisfaisante au point de vue hippique, il est doué de qualités solides et d’un certain fond de gaieté patiente assez voisine du caractère de l’âne. Il répond plus à la parole qu’au fouet, s’arrête brusquement à ce son fortement accentué : « prrr », qui ferait fuir ses congénères d’Europe. Le long du chemin, il se contente d’un peu de foin ; l’avoine est inconnue ou sert à l’alimentation de l’homme. Quand il a soif, il va de lui-même à la source qu’il sent de loin au bord de la route et ne se regimbe que si vous le forcez à déroger à ses habitudes. Arrivé au relais, il s’étend, se couche et se roule dans la poussière pour sécher la sueur du voyage. Son maître ne le brutalise jamais et a pour lui une véritable affection. Malheur au voyageur qui surmène une bête dont le propriétaire est assis derrière la carriole. Il essuiera un feu roulant de raisonnements de toutes sortes. Quelquefois même le geste suivra la parole, et le Norvégien a la main lourde.

La route avant Kongsberg traverse d’admirables forêts, venues on ne sait comment sur des roches énormes. La mine a joué un grand rôle dans la construction du chemin, d’immenses quartiers rouges et noirs sont entassés pêle-mêle sur les flancs de la montagne ; d’énormes arbres au feuillage vigoureux sortent de ces amas monstrueux : c’est un véritable chaos.

Peu à peu, la roche finit par l’emporter sur la végétation ; les pins se rabougrissent, si bien qu’au sommet d’une interminable côte, il n’y a plus que des broussailles et des mousses, mais on a atteint la vallée de la Laagen qui se déroule à vos pieds comme un long ruban. Un nuage noir, semé de reflets rougeâtres par le soleil couchant, se balance au-dessus du fleuve. Plus bas encore apparaissent Kongsberg, ses usines royales et la chute de Larbrö, qui fournit à l’exploitation minière son puissant moteur.

Kongsberg est la seconde ville minière de Norvége et le centre des mines d’argent et de cobalt ; c’est là que s’élabore le minerai recueilli à quelques lieues à la ronde.

Les mines d’argent forment une portion importante (un dixième) du revenu de l’État. Administrées sagement et en prévision d’un épuisement possible, elles ne rendent qu’une somme fixe par an. Elles ont été beaucoup plus riches, mais la première veine cessa subitement au siècle dernier, et ce ne fut qu’après un long intervalle qu’on trouva la veine actuelle.

Les mines de cobalt situées à quatre milles de Kongsberg sont en pleine exploitation.

La ville, groupée autour de l’église, domine un peu la chute et les scieries qu’elle alimente.

Le Gœstgivegaard, décoré du nom français d’Hôtel des Mines, est tenu par un jeune homme fort complaisant, qui met à notre disposition un phaéton pour aller aux puits même de la mine.

Ils sont à trois ou quatre lieues de Kongsberg, dans un pays stérile, plein de roches et de pins rabougris ; la route, à peine faite, serpente dans ce dédale de pierres et d’arbres.

On se demande comment les équipages à quatre chevaux de la cour de Suède ont pu conduire par ces horribles sentiers le prince Napoléon qui, dans ses rapides voyages polaires, a visité les puits de Kongsberg.

Nous dépassons cinq ou six établissements mus par l’eau et destinés aux préparations successives du minerai avant son entrée dans l’usine de Kongsberg. Tout cela est fait avec ce luxe de charpente qu’on ne peut trouver qu’en Norvége ou en Amérique : de gigantesques viaducs amènent l’eau d’un côté et le minerai de l’autre. Bientôt les résidus terreux s’amassent en monceaux énormes et envahissent la charpente primitive, un second édifice se superpose alors au premier sans qu’on s’inquiète autrement ni de la matière ni de l’espace. À un détour de la