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princes de Suède même en ont fait le but de plus d’une excursion. Pour venir de Lom à pied, il faut traverser des plateaux neigeux de quarante lieues de large, sans une habitation, sans un arbre ; le vent souffle, les guides perdent leur chemin et croient voir ça et la les traces des génies courroucés du fjeld ; il faut aller de marais en marais ; de précipices en précipices ; enfin l’on arrive (car les nuits sont courtes et le flatbrod (pain plat, galette) national soutient les estomacs des jeunes Norvégiens), mais on arrive épuisé, mouillé et crotté de la tête aux pieds, comme les deux intéressantes casquettes à gland qui montent en ce moment sur le pont du Framnæs. Lyster n’est pas la seule église de ce fjord. À côté est celle d’Urnæs, qu’une savante publication allemande a jugée digne d’être comparée aux églises de Hitterdal et de Borgund ; le fait est que l’intérieur de l’église d’Urnæs a encore été respecté et ne serait point sans intérêt pour l’archéologue et pour le peintre ; mais l’extérieur n’a pas eu pour architecte l’homme de goût ignoré, le paysan de génie qui a dessiné les clochetons d’Hitterdal et les sculptures de Borgund.

Au retour, nous touchons de nouveau à Lærdal ; nos carrioles, hissées à bord, seront confiées à l’honnêteté des passagers ; une lettre envoyée d’avance à Bergen préviendra l’aubergiste de leur arrivée solitaire ; nous les retrouverons dans la remise sans que rien manque à nos provisions, abandonnées à la bonne foi publique. Quel est le pays où l’on pourrait en faire autant !

Le Vöringfoss. — Dessin de Doré d’après M. Riant.

Pour nous, légers de bagage, nous laisserons le Framnæs retrouver Bergen par mer, pour nous enfoncer de nouveau dans les montagnes à la recherche des sites du Hardanger et de la cataracte du Vöring.

Le steamer, qui a intérêt à emmener avec soi tous les passagers, se garde bien de les conduire à l’entrée de la route qui mène par terre de Sogn au Hardanger ; il laisse le voyageur au fond d’un fjord voisin, à Underdal, misérable hameau où nous trouvons au bout d’une heure une barque et deux rameurs. Une famille norvégienne, qui se promène dans le Sogn, navigue de conserve dans une autre barque. La mer est devenue calme l’eau est de ce beau vert émeraude qu’on ne trouve que dans le Nord. Le long des falaises géantes du fjord roulent des chutes sans nom qui seraient célèbres ailleurs. Tout au haut du fjeld, si haut que l’œil a peine à y arriver, apparaissent quelques sæters (chalets) suspendus quatre mille pieds au-dessus de la mer. On dit qu’en hiver de terribles avalanches roulent le long de ces pentes abruptes pour se perdre en sifflant dans les profondeurs du fjord et que plus d’une barque a été victime de leur énorme chute.

Le Naeröfjord est de tous les bras du Sogn le plus étroit et celui où les falaises atteignent le plus de hauteur. La barque légère qui file entre ces murailles de granit doit faire du haut des nuages l’effet d’une fourmi parcourant le fond d’une tranchée de drainage. Le site sauvage au milieu duquel est assise l’église de Bakke et les portes de Gudvangen, à l’extrémité même du fjord, atteignent même ce caractère de sublime que le crayon rend mieux que toutes les descriptions.

À Gudvangen même la mer n’est pas large comme la Seine. Sur un des bords sont bâties une douzaine de mai-