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L’étonnement de ces bonnes gens, à la vue des splendeurs du paquebot que beaucoup voient pour la première fois, est indescriptible.

Le fait est qu’un ethnographe érudit pourrait faire sur les paysans du Sogn de curieuses études. Il est impossible de ne pas être frappé de la ressemblance qui existe entre les plus beaux types anglais et normands et les types si purs du Sogn. Je dis anglais, je me trompe ; je ne devrais parler que des familles anglaises où l’aristocratie a conservé la pureté de la race conquérante ; plus d’une paysanne du Sogn porte la tête haute et fière comme les pairesses d’outre-Manche. Yeux d’un bleu profond, profils olympiens, tailles imposantes, rien ne manque à la ressemblance. Tous ces gens-là sont, à un degré antique, cousins[1] des membres de la haute chambre… et ils le savent. Ils parlent de leur Ganger Rolf (Rollon de Normande) comme s’il s’agissait d’un personnage d’hier ; les pirateries de ses collègues deviennent de splendides conquêtes, et tout cela est raconté dans les veillées, célébré dans les chansons comme le siége de Troie chez les Grecs. On s’explique alors la fierté de ces laboureurs, de ces pêcheurs, qui n’ont pas voulu de nobles dans leur jeune constitution, parce qu’étant tous de la même race, ils remontaient tous aux mêmes héros, à ces contemporains d’Odin, grands guerriers, grands tueurs, peut-être grands mangeurs de chair humaine.

Route de Stalheim. — Dessin de Doré d’après M. Riant.

Les temps et les hommes sesont acloucis, mais la race sous l’administration danoise, a changé et d’alluresetde but ; de son glorieux passé, il ne lui reste plus que ses saga (traditions), sa fierté, qui fait du peuple norvégien la démocratie la plus aristocratique du monde, et certains goûts de vagabondage maritime qui portent les petits clippers du Sogn à caboter plutôt dans la Méditerranée ou en Amérique que dans la mer du Nord.

Le matin nous avions pénétré au fond d’Aardalsfjord : des chutes immenses, de petites cabanes perdues dans les crevasses des falaises, une mer verte comme l’émeraude, de longues vallées terminées par des pentes neigeuses, que faut-il de plus pour faire trouver le temps trop court même sur le pont d’un bateau à vapeur ? À midi nous étions au pied des glaciers du Justedal, devant la coquette église de Lyster. C’est là qu’aboutit un sentier presque fameux, qui vient de Lom et de Lourdal en Gudbrandsdal ; les excursions annuelles de messieurs les étudiants de l’Université de Christiania l’ont illustré ; les

  1. Beaucoup de familles norvégiennes tombées en paysannerie ont encore leurs écussons et leurs généalogies intactes. Un savant professeur de Copenhague, qui possède parfaitement l’histoire de notre Normandie, fut étonné de retrouver une conformité entière d’armes entre quatre familles répondant au nom latin de Sylvius Skog en Norvege, du Bois en Normandie, Boice en Angleterre, et Boyis en Suède (branche émigrée d’Écosse au seizième siècle).