Page:Le Tour du monde - 03.djvu/112

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oiseau-lyre qui s’échappait bruyamment des buissons aussi rapide que nos faisans de montagne en Europe.

Enfin nous arrivâmes à la région des Dead Trees, ou arbres morts. Ce sont des gommiers gigantesques, encore debout, mais desséchés depuis des temps si reculés que les noirs les plus âgés disent les avoir toujours vus ainsi. Quelques-uns mesurent jusqu’à deux cents pieds de hauteur sur huit à dix pieds de diamètre, et leur carcasse unie ressemble à celle des grands chênes qu’on écorce au printemps avant de les abattre. De loin, au coucher du soleil, ces parties de montagnes, ainsi atteintes de mortalité, ressemblent à des rochers. Chacun émet son opinion sur ces arbres morts ! Est-ce le feu, ou bien plutôt est-ce quelque épidémie qui a frappé ces vieux géants ? Les arbustes qui les entourent sont verts et flexibles, tandis qu’eux-mêmes ils opposent, depuis des années dont nul ne sait le nombre, leurs squelettes blanchis aux vents déchaînés autour d’eux.

Ces arbres sont très-espacés : à mesure que nous montions, le ciel s’étendait davantage au-dessus de nos têtes, leurs silhouettes grises se détachaient sur le fond bleu foncé, et la vue la plus magnifique, jusqu’alors cachée à nos yeux par le feuillage, se déroulait à nos pieds.

C’était d’abord la montagne même où nous étions : une des arêtes des Alpes australiennes, longue suite de forêts impénétrées encore, dominées par des sommets neigeux à quinze ou vingt lieues de nous ; en avant et à notre droite, un océan de verdure, collines après collines, presque toutes semblables, toutes couvertes des têtes ondulées des gommiers. L’imagination errait sous ces masses d’arbres coupées par de petites vallées, par les plaines de la Yarra dont nous pouvions suivre le cours ; c’était la terre nouvelle donnée à l’Européen, et par delà cette terre, nous découvrions le véritable océan, sur lequel nous distinguions, à l’aide de la lunette d’approche que notre hôte avait apportée, les nombreux vaisseaux qui encombraient la rade de Melbourne et qui sillonnaient la baie de Port-Philipp.

Station de Dalry. — Vue du haut des montagnes. — Dessin de Karl Girardet d’après une photographie.

Là, sur une étendue de douze lieues à vol d’oiseau, toute une fourmilière, d’hommes s’agitait, occupés à expédier au vieux monde le produit des mines d’or, à déballer les cargaisons apportées par ces centaines de navires ; et, à nos pieds, adossées à la montagne, oubliées en dehors de tout ce mouvement fiévreux, quelques lieues carrées de sol vierge nous étaient offertes. Cette vue mit fin aux hésitations qui pouvaient me rester sur l’acquisition de Dalry : « Touchez là, monsieur Donald, dis-je au propriétaire, nous acceptons vos conditions. »

H. de Castella.

(La fin à la prochaine livraison.)