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Le lendemain matin, trois ou quatre des enfants du stockeeper rassemblèrent, courant dans les hautes herbes et les chassant devant eux, tous les chevaux qui se trouvaient dans le clos. Nous fûmes bientôt en selle, et nous commençâmes avec notre hôte l’exploration de son run[1].

Ce run portait mille têtes de bétail ; il pouvait en porter douze ou quinze cents. Le bon terrain comprenait environ dix mille arpents ; le terrain de mauvaise qualité pouvait s’étendre indéfiniment, car, limité au sud et à l’ouest par la Yarra et un de ses petits tributaires, il n’était borné au nord et à l’est que par les montagnes et les taillis impénétrables qui cachaient loin de là les sources de la Yarra. Cette immense étendue de terrains inutiles était un des désavantages de la station, car, lorsque le bétail s’y engageait, il était perdu pour le propriétaire, l’épaisseur du fourré ne permettant pas de l’y poursuivre à cheval.

Le sommet des montagnes dont Dalry occupait tout le versant sud était élevé de quatre mille pieds. Nous avions vu la plaine en arrivant, nous savions ce qu’elle valait pour le bétail, nous nous dirigeâmes droit vers le plus élevé de ces sommets d’où nous devions avoir une des plus belles vues de la contrée. Ce mont a été depuis baptisé par nous, et il porte sur la carte nouvelle le nom que nous lui avons donné : mont Juliette.

Tant que nous chevauchâmes en plaine, le sol était riche et couvert d’herbes abondantes ; mais, à mesure que nous montions davantage, il devenait plus argileux et plus mauvais ; l’eau des pluies séjournait à la surface, et une petite espèce de jonc était, avec de nombreuses plantes de la famille des orchidées, la seule herbe qu’il produisît. Il était, en outre, couvert de jeunes gommiers si rapprochés les uns des autres, que nous avions de la peine à passer entre leurs troncs. Cependant, à l’endroit où la pente devenait rapide, les arbres plus espacés reprirent leurs formes vigoureuses ; notre guide nous annonça les sources du Corondara, et bientôt, dans un creux de la montagne, toujours sous les immenses gommiers, nous découvrîmes une forêt d’arbres fougères. Le ruisseau filtrait au milieu des herbes épaisses, et les grandes fougères penchaient dans tous les sens leurs couronnes vertes tombantes, soutenues par des troncs droits que les feux du bush avaient recouverts d’un velours noir, et où leur âge était marqué par les anneaux superposés de leurs palmes tombées. Ces arbres magnifiques atteignaient en cet endroit jusqu’à trente pieds de hauteur.

Station de Dalry. — Dessin de Karl Girardet d’après une photographie.

À partir de là, la montagne devenait si rapide que nos chevaux nous étaient inutiles ; nous les attachâmes aux troncs des fougères, et nous continuâmes à pied notre ascension. Plus nous montions, plus le sol changeait : c’était une terre noire et légère comme la terre de bruyère, couverte de superbes arbustes que je n’avais pas vus encore. L’air était embaumé par les parfums de l’arbre musqué.

Pour nous aider à gravir, nous nous prenions à ces arbustes ; l’un d’eux surtout nous était utile : c’était un petit arbre à feuille de saule dont le bois se brisait comme du verre, mais dont l’écorce, qui se détachait tout entière, tant il était plein de séve, résistait à tous nos efforts pour la rompre.

Le sol était en beaucoup d’endroits perforé de trous de wolloubis (une petite espèce de kanguroo), et de trous de wombats, un des plus curieux animaux d’Australie, très-difficile à prendre à cause de la rapidité avec laquelle il se fraye un chemin à terre. Autour de nous on n’entendait aucun des oiseaux de la plaine, seulement quelques rares kakatoës noirs qui jetaient des cris perçants à notre approche, et de temps en temps quelque

  1. L’espace de terrain que comprend une station ; de to run, courir.