Page:Le Tour du monde - 03.djvu/248

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on ne boit jamais de vin, mais beaucoup de thé ou de café. Un morceau de tourte aux fruits termine ordinairement le menu. Ces repas durent à peine vingt minutes, chacun mange vite et sans échanger une parole avec son voisin. Les hommes vont ensuite fumer leurs cigares sur les terrasses, qui forment suite au salon et d’où l’on domine les eaux et les rives du lac Champlain.

Ce lac, dont le nom consacre la mémoire du Français qui en fit la découverte en 1609, se présente d’abord au voyageur venant du Sud comme un étroit canal, resserré entre deux chaînes de montagnes verdoyantes, qui affectent les formes les plus gracieuses. Ce sont à droite les montagnes Vertes, qui ont donné leur nom à l’État de Vermont ; à gauche les contre-forts de la chaîne new-yorkaise de l’Adirondack. Des deux côtés des bois peu élevés, mais fort épais, descendent jusqu’au bord de l’eau où se mirent de loin en loin des maisons de bûcherons. En passant on leur jette le sac contenant les dépêches de la poste. Ce paysage a déjà ses ruines : ce sont celles du fort Ticonderoga et de Crownpoint, abandonnés et démolis depuis la paix et qui commandaient l’entrée du lac dans d’admirables positions.

Vue de Montréal (p. 250). — Dessin de Paul Huet d’après M. Deville.

Au moment où nous allions nous engager parmi les îles Héro, qui forment de gracieux groupes de verdure, entre lesquels apparaissait dans le lointain le joli village de Plattsbourg, célèbre par la victoire que remportèrent les Américains sur les Anglais en 1814, un vent froid soulevant de petites vagues autour de notre vapeur, fut bientôt suivi d’une pluie torrentielle qui, masquant le ciel, la terre et l’eau, força les amateurs de paysages de s’envelopper de leurs manteaux et de chercher un refuge au salon. Là je fis la connaissance d’un ingénieur français nouvellement arrivé aux États-Unis et qui se rendait au Canada pour affaires. Pendant que nous échangions nos observations sur les Américains, la conversation tomba sur la liberté dont les jeunes filles jouissent dans les États-Unis. À New-York j’avais remarqué fréquemment des jeunes personnes de bonnes familles se promenant seules ou en compagnie de jeunes gens, sans que personne y trouvât le moins du monde à reprendre. Un jour, étant en omnibus dans la rue de Broadway, j’avais vu une jeune fille, âgée de dix-huit ans environ, aussi élégante que modeste, faire arrêter la voiture qui était au grand complet. Comme je me demandais où elle pourrait se placer, elle s’assit tranquillement sur les genoux d’un monsieur qui ne parut nullement surpris de cette bonne fortune. N’ayant rien eu de plus pressé que de rapporter le fait à des Français fixés depuis quelque temps dans le pays, ils me répondirent simplement : « C’est l’usage. »

En échange de ma confidence, mon compagnon de voyage me raconta qu’il avait été présenté récemment à