Page:Le Tour du monde - 03.djvu/280

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l’estalajadeiro (l’hôte) un poulet bien vivant ; Christoval le saigna, puis, d’une main diligente, le débarrassa de presque toutes ses plumes ; M. Smith organisa une broche ; je préparai un feu de circonstance, et, au bout d’une demi-heure, la bête cuite à point étalait ses membres dorés sur un lit de rouelles de citron. Une salade d’oranges et du riz cuit dans du bouillon fourni par la cuisine de l’endroit complétèrent le menu de ce festin dont le succès fut unanime.

Le lendemain, de bonne heure, nous commençons à parcourir la ville. Comme Ponte de Lima n’a pas beaucoup d’étendue, la visite ne peut durer longtemps. Elle offre cependant de l’intérêt. Le premier coup d’œil est tout favorable ; l’examen ajoute ensuite à cette bonne impression. En amphithéâtre, tapissant le flanc d’une colline, la tête un peu dans les nuages, si tant est qu’il y ait des nuages en Portugal, ce qui n’est pas bien sûr, les pieds tout à fait dans la rivière, la cité s’enlève en tons vigoureux de lumière sur les teintes douces et violacées des montagnes du fond. Cette position est très-pittoresque et de l’effet le plus piquant. Il en résulte, il est vrai, des rues escarpées dont le parcours est pénible aux piétons, impossible aux voitures, mais comme tableau c’est original. En dehors de la ville, à quelque distance, surtout lorsqu’on se dirige vers le nord, après avoir franchi le pont, le pays montre des solitudes un peu austères ; la campagne toutefois qui joint immédiatement Ponte de Lima est d’une rare magnificence : le regard ne se fourvoie nulle part ; de tous côtés, c’est une énergie de végétation, une ampleur de lignes, une variété de contours et de couleurs qui assurent à l’esprit la plus douce satisfaction.

Dans l’intérieur de la cité on n’est distrait ni par le bruit ni par le mouvement ; il y règne une sorte de béatitude langoureuse, de contentement naïf que rien ne semble devoir troubler. Cette tranquillité vaut bien après tout le tapage de certaines villes où l’on reste isolé comme en plein désert, bien que vivant au milieu d’une agitation assourdissante et continuelle.

Château de Guimaraens, vu de la route de Braga. — Dessin de Catenacci d’après un croquis.

Cette rive si bien faite pour la paix et le bonheur et que les Grecs et les Romains ont fouillée autrefois de leurs charrues, a connu cependant les calamités de la guerre. Les Arabes ont saccagé la ville de fond en comble ; relevée de ses ruines en 1125, par D. Henriquez, dotée de murailles par D. Pedro Ier, elle a aussi, plus d’une fois, soutenu et repoussé les attaques des Galliciens.

On voit encore dans la ville quelques débris de l’ancienne civilisation romaine : des inscriptions, des fragments de céramique et d’ornementation, des colonnes milliaires, etc., etc. L’église n’est pas tout à fait à dédaigner ; elle vaut au moins un coup d’œil. Le caractère de son architecture n’a rien qui soit bien défini, si l’on veut ; des tableaux qui la décorent, aucun ne dépasse, je crois, le niveau de la médiocrité ; ce monument sans parure intérieure ni extérieure, d’une physionomie un peu revêche, offre cependant un ensemble de fermeté très-harmonieux.

Les habitants méritent une attention à part. Les hommes ont l’air de bonnes gens. De formes dégagées et vigoureuses, faits au moule, — en Portugal, rien n’est plus rare que des individus contrefaits ou estropiés, — ils sont, en général, de petite taille ; leurs allures toutefois sont lentes et même un peu balourdes. La population des campagnes est surtout remarquable ; elle fournit des soldats braves, sobres et faciles à discipliner ; de robustes et intelligents laboureurs, auxquels il ne faudrait peut-être que de bons outils pour se mettre à la hauteur des progrès obtenus ailleurs dans l’agriculture. Quant aux femmes, elles sont au moins très-agréables, souvent jolies, quelquefois complétement belles. Elles ont les cheveux abondants, le regard long, doux et pénétrant, le