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rituelle de l’abbé d’Alcobaça, l’ordre du Christ fut fondé par le roi Diniz, qui déclara les chevaliers de la nouvelle milice, continuateurs de l’ordre réformé du Temple. Établi d’abord à Castel Marim, en face de la terre africaine, le chef-lieu de l’ordre du Christ fut transporté en 1320 à Thomar, où il resta jusqu’au moment où le décret de 1834 vint le comprendre dans la mesure qui fermait toutes les maisons conventuelles du royaume.

Maîtres des biens et des priviléges qui formaient l’ancien patrimoine des Templiers, possesseurs de vingt et une villes et de quatre cent soixante-douze commanderies, les chevaliers du Christ ouvrirent au monde une ère nouvelle. Prenant l’initiative des grandes découvertes maritimes, ils obtinrent, sous leur grand maître l’infant Henri, fils de Juan Ier, le monopole exclusif des lointaines navigations, et c’est alors qu’ils se rendirent célèbres par des exploits d’un caractère particulier ; Aux glorieux événements qui marquent la fin du quinzième siècle, et inaugurent le seizième, leur influence, le génie de leur institution, leurs trésors donnèrent le plus souvent l’impulsion décisive qui enlève le succès, quelquefois l’élan qui le prépare et l’assure, et si les princes illustres de la maison d’Aviz forment les projets qui restent encore pour nous une cause d’étonnement et d’admiration, les chevaliers du Christ les accomplissent, allant porter jusque dans les contrées les plus reculées et les moins soupçonnées, la civilisation du christianisme. N’est-ce pas leur drapeau que Vasco de Gama, bravant mille dangers, fit flotter dans l’Inde ? n’est-ce pas leur bannière qu’Alvarez Cabral vint planter sur les rives du Brésil ?

Ce qui précède aidera le lecteur à se rendre compte du cachet que l’architecte a prétendu donner au monastère de Thomar, dont la reproduction de quelques détails importants empruntés à la Casa do Capitolo (maison du chapitre) accompagne cette notice.

Au-dessous de la croix, emblème de l’ordre, qui, alternant avec la croix d’Aviz, forme la crête des galeries, des sphères armillaires disposées en balustrade indiquent la direction que suivait la pensée des habitants du cloître ; les cordages courant dans des anneaux, liant au corps de l’édifice les contre-forts qui le consolident, ou bien se réunissant autour des pilastres en nœuds un peu négligés, figurent les amarres et les manœuvres des nombreux navires armés par les chevaliers ; dans l’épaisseur de l’œil-de-bœuf d’autres cordages enroulés retiennent les plis épais d’une voile ; les motifs de l’ornementation du contre-fort de l’un des angles sont retenus par un large ceinturon bouclé ; ceux du contre-fort opposé par une chaîne formée de mailles de cordes ; la fenêtre blasonnée aux armes de Manoel, surmontée de la croix symbolique, flanquée de sphères, offre dans son encadrement un mélange d’algues, de coraux, de polypiers, de câbles, entassés, chargeant la décoration d’un fouillis de détails caractéristiques.

C’est là, à coup sûr, de l’architecture parlante. Au risque cependant de faire de la peine à ceux des Portugais pour qui Thomar est le parangon du beau et du parfait, je dirai que ce langage est trop sonore pour ne pas être de mauvais goût. L’art pur n’a pas besoin de cet excès et de ce tapage pour se faire comprendre. À Batalha, à Alcobaça, pour frapper un peu moins vivement peut-être les esprits vulgaires, avec quelle sûreté et quelle grâce il touche les âmes vraiment sensibles et délicates ! L’intensité du bruit ne constitue pas plus la meilleure musique, que la longueur des périodes les plus beaux livres et les discours excellents. Il y a en toutes choses une certaine mesure qu’il ne faut jamais dépasser. Quand l’art, s’écartant de ses voies, frappe au delà du but, ce n’est pas un signe de force surabondante, c’est au contraire une marque certaine de faiblesse, car il s’applique alors à couvrir la pauvreté du fond au moyen d’ornements exagérés, de parures hors de toute proportion, fruits d’une fantaisie sans règles et sans frein.

Dans le chapitre de Thomar, le porche est, sans contredit, ce que l’architecte a le mieux réussi. Son arcature fleuronnée comme celles de Batalha, dans un style toutefois beaucoup moins sobre, porte au tympan un retable dont une douzaine de statues : celle de la Vierge, au centre, occupe les compartiments.

Quoi qu’il en soit, cette construction, avec quelques giroflées sauvages, à fleurs jaunes, entre les pierres disjointes, a beaucoup d’aspect, et l’on comprend qu’au premier abord l’imagination en soit impressionnée.

L’établissement, qui comprend le monastère avec sa grande chapelle, le château avec ses boulevards, n’est pas en entier dans le style de la Casa do Capitulo ; ainsi on retrouve, dans l’intérieur de l’église, les traces d’un art plus fin et plus précieux. On dit que c’est à Gualdim Paez, grand maître des Templiers au milieu du douzième siècle, que l’on doit la construction de la chapelle, qui renferme entre autres morceaux dignes d’être mentionnés, un retable en bois, peint, sculpté, doré, dont l’exécution est d’une perfection achevée.

Le château appartient aujourd’hui à l’ancien ministre Costa-Cabral qui porte le titre de comte de Thomar.


XXVI

Dans le cloître de Thomar nous trouvâmes un Parisien qui fait dans la Péninsule le métier de cicerone. Il


    villes et quarante-trois commanderies ; ce fut d’abord une branche de l’ordre espagnol de Calatrava ; le ruban est vert moiré ; la croix est verte à pointes fleurdelisées ;

    L’ordre de Saint-Jacques de l’Épée, institué en 1177 ; soumis a la direction du chapitre d’Espagne, il devint indépendant en 1320 ; la croix est rouge, figurant une épée, les trois pointes supérieures fleurdelisées ; ruban violet ; il se confère surtout aux magistrats et aux ecclésiastiques : il a possédé jusqu’à quarante-sept villes et cent cinquante commanderies ;

    L’ordre de la Tour et l’Epée, fondé en 1459 par Affonso V, réorganisé en 1809 par Juan VI, encore régent ; une étoile à cinq pointes sur une couronne de lauriers, surmontée d’une tour ; ruban bleu foncé ;

    L’ordre de la Conception, fondé en 1818 par Juan VI ; l’insigne est une étoile rayonnante à neuf pointes ; ruban bleu clair, liséré de blanc ;

    L’ordre de Sainte-Isabelle, fondé en 1801 par Carlota Joaquina, femme de Juan VI ; une médaille d’or portant l’image de sainte Isabelle ; ruban rose, liséré de blanc. Cette distinction ne se confère qu’aux dames.